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LE BOUQCET FATAL, 459 d'un charme suprême, se présente parfois, à la façon d'un fâ- cheux, un hôte inattendu. Cet hôte invisible, impalpable, n'est autre qu'une pensée amère qui traverse l'esprit comme une flèche aiguë et déchire douloureusement la pénombre où s'endort l'insouciance heu- reuse. Cet hôte vint brusquement s'asseoir à cette table hantée par le bonheur etfigerdans le cerveau de Remy les humeurs joyeuses qui s'y épanouissaient. Son sourire s'éteignit par degrés, son front se rembrunit, un nuage d'anxiété flotta dans ses yeux. Qu'avaitil donc vu, pressenti ou pensé? Quel fantôme s'était dressé devant lui ? Hélas! c'est qu'en un clin d'œil il avait deviné le lende- main de ce jour céieste, et mesuré les déceptions de ce lende- main. Tant que pour justifier ses assiduités auprès des dames de ?allouise, il avait eu le double prétexte d'une guérison à par- faire et d'un dernier grade à conquérir , il avait vécu dans l'ou- bli d'un avenir qui lui semblait chimérique. Mais cet avenir était là présent, et ce double préteste avait disparu. Solange était admirablement guérie -, et lui, docteur ès-Faculté. Qu'adviendrait-il du roman si bien commencé? N'allait-il pas se flétrir sous l'étreinte brutale de la réalité ? Ce roman n'avait qu'un dénouement acceptable, le mariage ; mais que d'impossibilités en barraient l'accès. Sans fortune ni l'un ni l'autre ; pour lui une réputation à édifier ; pour elle, une vie de labeurs et de privations à s'im- poser. Il revit dans sa pensée la montagne natale et l'austère image de sa mère associée aux épreuves du médecin Dorbray mort à la tâche ; il se dit mentalement qu'il n'aurait jamais le courage d'imposer à Solange une si rude destinée. Puis sa timi- dité et sa sauvagerie native, puis les préjugés du monde auxquels il n'avait pas songé et qui créaient une barrière toujours pé- nible à franchir, entra Solange issue de la meilleure noblesse, vt lui, roturier d'extraction médiocre. Puis, enfla, au-dessus de