Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
74                ON NE CROIT PLUS A RIEN.

Au reste, vous savez qu'à présent les machines font supé-
rieurement ce genre de travail. Donc, en vous rencontrant,
si je suis tombé sur un homme sérieux, aimant le bon drap
bien cousu, je vous conseillerai de choisir un autre.tailleur
pour habiller vos histoires; mon étoffe est d'un mince qui ne
supporte pas les points serrés, ils emportent le drap.
    Sur ce, je vais entrer dans mon sujet et dire tout de suite
ce qu'était Ravinel, du temps que je croyais en lui, bien en-
tendu.
    C'était mieux qu'un bon camarade de bureau. — Je ne
pense à rien: vous ai-je dit seule'ment que j'étais employé?
— Ravinel était un véritable ami, un ancien, un pur, bonne
et franche nature, cœur chaud et dévoué, généreux comme
un prince, ambitieux comme un riche et pauvre comme un
rat. Tel était l'homme. Fait pour être .employé dans un bureau
à peu près comme un écureuil pour être employé dans une
 cage. Nous avions pendant dix ans, expéditionné, collationné,
rédaelionné coude à coude, sans trop nous abrutir, il est
vrai, à ce travail mécanique, qui laissait a nos facultés intel-
lectuelles toute liberté de s'exercer parallèlement sur des su-
jets plus attrayants. Je vous laisse à penser,avec mon carac-
tère ergoteur et la fougue de Ravinel, quelles excursions
 folles nous fîmes, le plus souvent à tâtons, dans les domaines
 de l'art, de la science, de la philosophie surtout, cette conso-
 latrice des employés.
   L'avais-je aimé ce Ravinel ! bien qu'il ne fût pas fort à la
besogne, qui retombait un peu sur moi. C'est qu'aussi il avait
trop d'idées , trop de vivacité dans l'esprit. L'imagination
nuit à l'avancement dans les bureaux. Aussi, quand j'étais à
deux cents, il n'émargeait encore qu'à cent cinquante, et je
n'ose dire qu'il les gagnât.
   Ravinel avait le génie des affaires, des grandes entrepri-
ses, des vastes spéculations. Pour réaliser tous ses plans, il