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202                      ÉTUDE SUR LES MOEURS
dans la vie intime, celui qui ne se montre le plus souvent à nous
qu'en public et au milieu des devoirs de sa charge. C'est cette
curieuse étude que je voudrais essayer aujourd'hui.
   Reportons-nous à l'année H 4 6 , à cette époque où, à la
voix éloquente de saint Bernard, l'Europe tout entière s'ébranle
pour fondre sur l'Asie. Pierre-le-Vénérable est fatigué, malade,
une fièvre lente le consume. Invité par saint Bernard et Suger
à assister au concile de Chartres, où doit se décider la croisade,
il a été obligé d'excuser son absence , par le mauvais état habi-
tuel de sa santé (1). « Continuo corporis incommodo. » Mais,
où ira-t-il pour trouver cette salutaire quiétude d'esprit qui peut
seule lui rendre la santé? Rester à Cluny, n'est pas possible,les
affaires y affluent et de plus une maladie épidémique y fait de
nombreuses victimes. Que faire donc? Ce que conseille la raison,
ce que la nécessité exige ; se retirer au fond des bois ; aller
chercher dans la solitude un repos réparateur. Le pieux abbé s'y
décide, il laisse au prieur, à son fidèle Pierre de Poitiers, le soin
de la communauté et part, emmenant avec lui nombre de moines
heureux d'accompagner l'abbé dans sa retraite. Chacun emporte
avec soi son auteur favori, et je soupçonne que, sous plus d'une
robe de bure, se cache un Virgile ou un Horace qu'on lira, sinon
en secret, du moins en petit comité et loin du profane vulgaire.
Uu vieux taureau ferme la marche, faisant retentir les échos des
bruyants éclats de sa joie. Arrivé sur un monticule composé de
trois mamelons couverts de bois épais, le cortégje s'arrête et se
sépare; à droite et à gauche s'établissen%divers groupes de
religieux, et au milieu, l'abbé Pierre avec les moines, qui compo-
sent sa suite habituelle. Mais que font ces pieux céno|ites, au mi-
lieu de cette profonde solitude? Peut-être les croyez-vous plongés
comme les pères du désert, dans de célestes contemplations, de
mystiques extases, et penseriez-vous leur faire honneur en com-
parant leur genre de vie à celui des ermites et des solitaires? C'est
ce que fit Pierre de Poitiers, dans une lettre qu'il écrivit à l'abbé;
mais Pierre de Poitiers, il faut le reconnaître, fut ce jour-là

  (1) Livrn Yl, Jrltr<'* I* cl 2 0 .