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                         LE PÈRE DE LA CHAIZE.                            121
le jansénisme. Nous pouvons recommander cet ouvrage à ceux qui, sans
doute, pour s'absoudre eux-mêmes, s'instruisent à mépriser la nature
humaine, à considérer la liberté des actions comme une chimère, tout ce
que les hommes ont honoré et admiré comme n'étant au fond que men-
songe et hypocrisie, ou légèreté et sottise, et l'amour-propre et l'égoïsme
comme les seuls sentiments vrais et permanents. Par-dessus cette belle
doctrine vient celle de la grâce, à la fois gratuite et irrésistible, qu'on ne
peut pas même invoquer efficacement s'il ne lui plaît de nous prévenir,
qui nous emporte invinciblement lorsqu'elle nous visite, et hors laquelle
toutes les lumières de la raison, toutes les inspirations du cœur, tous les
enseignements de l'expérience, tous les efforts de l'éducation, en un mot,
tout le travail de la volonté humaine n'aboutit qu'à de fausses vertus Cl). »
   L'abbé Esprit disait de Socratc : « ses vices étaient très-réels, et toutes
ses vertus feintes et contrefaites (2). » Il prétendait aussi que « le désinté-
ressement est la plus effrontée de toutes les impostures humaines. »

   Quel mépris pour l'homme, pour sa raison, pour sa dignité ,
 pour ses sentiments les plus nobles, pour ses aspirations les plus
 hautes ! Courage, abnégation, sacrifice, dévoûment à ses sembla-
 bles et à sa patrie, sagesse, équité, amour de la justice, toutes
 ces vertus, sans la grâce de Port-Royal, ne sont que vices dégui-
 sés; elles ne méritent pas plus nos hommages et nos respects
 sur la terre, que leur récompense dans une autre vie. L'abaisse-
ment de l'homme, son impuissance absolue à vouloir, à faire le
bien, sa dégradation incurable, sans la grâce irrésistible, voilà
le fond du système. Fatale conclusion qui ne détruit pas moins
les principes fondamentaux de toute morale que les dogmes
essentiels du christianisme.
   Allons plus loin, et voyons quelles furent, en matière politique
et sociale, les secrètes opinions des deux hommes les plus émi-
nents du jansénisme : examinons ce qu'ont pensé Domat et
Pascal de la souveraineté des rois ; [étudions les jugements de
Pascal sur la propriété , le mariage, la famille, le droit de suc-
cession, la justice, sur tous les principes vitaux de la société
civilisée, et nous laisserons au lecteur le soin de juger si cette
doctrine, poussée à ses dernières limites, et mise entièrement à nu
par ces deux puissants esprits, n'était pas au fond la plus dange-
reuse deshérésies, comme la plus révolutionnaire des négations.
   Qui croirait que la pensée suivante est du grave Domat, de ce

  (1) Madame de Sablé, par 31. Victor Cousin, pp. 88 et 89,
  (2) De la fausseté des vertus, par M. Esprit. T. II, p. 387.