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LE PÈRE DE LA CHAIZE. 115 Comme on le voit, les Solitaires, à l'occasion, savaient fort bien faire plier le rigorisme de leur morale à toutes les exigences de la politique et de la vie du monde. Ils s'accommodaient aussi bien de Marie de Gonzague que de la mère Angélique, des amies de La Rochefoucault que de la sœur Sainte-Euphémie de la Misé- ricorde. L'essentiel, pour les meneurs de la secte, était de se glis- ser dans les rangs les plus élevés de la société, et d'arriver par la domination des consciences et des intelligences au partage du pouvoir politique, but secret de toutes leurs aspirations et de tous leurs efforts. Mme Cornuel les appelait des importants spirituels, et Mme de Sévigné, quoique entraînée vers eux par un irrésistible penchant, les traitait , à ses heures d'orthodoxie , de mènageurs politi- ques (1). Outrée de certaines conclusions de Nicole, dans ses Essais de morale, la spirituelle marquise s'écriait dans son indi- gnation : « Je veux mourir si je n'aime mille fois mieux les Jésuites ; ils sont au moins tout d'une pièce, uniformes dans la doctrine et la morale. Nos frè- res disent bien et concluent mal ; ils ne sont pas sincères , me voilà dans Escobar. » Nous avons fourni plusieurs témoignages de jansénistes contre les casuistes de Port-Royal ; ajoutons-y celui d'un saint dont la mémoire est aussi respectée par les incrédules que vénérée parmi les Chrétiens. « J'ai ouï dire à M. de Saint-Cyran, écrivait saint Vincent de Paul à d'Origny, 10 septembre 1648, que s'il avait dit des vérités dans une chambre à des personnes qui en seraient capables , que , passant dans une autre, où il en trouverait d'autres qui ne le seraient pas , il leur dirait le contraire. » Ainsi donc, se montrer rigide avec ceux qui inclinaient vers la sévérité et indulgent pour ceux qui se laissaient maîtriser par leurs faiblesses et leurs passions, telle fut la règle de conduite de plusieurs directeurs spirituels de Port-Royal. Vaincus dans leur lutte avec le Saint-Siège, l'unique étude des jansénistes fut de reconquérir le terrain qu'ils avaient perdu. Pour y parvenir, il leur importait d'abord de convaincre les ca- (1) Lettre du 10 septembre-1668