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^90 LETTRES Sl'K LA SARDAIGNE. courber comme sous l'action d'un soufle impétueux. Au môme instant, rapide comme l'éclair, un mouflon bondit sur le rocher à quelques pas de moi et disparut dans la forêt. Je n'étais pas remis de ma stupéfaction que le môme bruit se fit entendre; les buissons s'agitèrent, les pierres roulèrent et deux cornes se dressèrent à l'angle du rocher; mais cette fois j'étais sur mes gardes, et au moment où le mouflon s'élançait devant moi, je lui envoyai, coup sur coup, deux balles dans les flancs; l'animal fil un bond en arrière et culbuta sous le rocher. Ma foi, dans l'ivresse de mon succès, de mon triomphe, j'oubliai la consigne des chasseurs, je lâchai mon fusil et m'élançai à la poursuite de ma victime dont le cadavre roulait de roche en roche jusqu'au fond du ravin. Les mouflons traqués de toutes parts, trouvant enfin une issue libre, s'y précipitèrent et s'éparpillèrent au loin dans la montagne. Grâce à moi, la chasse était manquée, trois mouflons seule- ment étaient morts au lieu de douze ; aussi la mauvaise h u - meur des chasseurs me fit expier mon triomphe. Cependant au soir, le souper, les copieuses rasades dissipèrent toute rancune, et l'on commença les récils de chasse éternels et fabuleux. A l'aube du jour je fis mes adieux aux chasseurs et mes remercîments au chef, auquel j'offris une paire de pistolets qu'il accepta avec reconnaissance. Et le soir, emportant comme une dépouille opime, la peau du mouflon, je rentrai a l'Établissement, dont la cloche reten- tissait dans les airs, semblable à la voix d'un ami, pour guider le voyageur dans la solitude. Deux jours après, comblé de soins et de bonté, je disais adieu à mes hôtes, à mon nouvel ami, maîtrisant avec peine ces pressentiments intimes qui rendent, entre gens qui s'ai- ment, toute séparation inquiétante et douloureuse. M. H. M.