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                 LETTRES SUR LA SARDAIGNE.                   481

 pieds comme les gradins d'un escalier gigantesque et désor-
donné. Une grande muraille blanche, ventrue et crevassée,
trouée, sans siméfrie, de fenêtres à balcon, sert de façade au
 monastère. Un long corridor, d'une nudité glaciale, et sur l e -
quel s'ouvrent les portes des cellules, nous conduisit à l'appar-
tement du prieur. Quand nous entrâmes, le vénérable abbé
était saintement occupé, en compagnie d'un de ses moines,
à mettre la dernière main à une liqueur monastique, qui
exhalait une arôme tentateur. Sa cellule était d'un confor-
table séduisant; un grand lit, voluptueusement abrité sous
d'épais rideaux, s'élevait à l'angle de la chambre ; un prie-
Dieu, surmonté d'un crucifix était auprès ; puis une rangée
de chaises et de fauteuils, en bois de ciguë ; car celle plante,
si petite chez nous, devient en Sardaigne un arbuste dont on
se sert pour confectionner des sièges, d'une solidité parfaite
et légers comme des plumes; enfin, pour compléter l'ameu-
blement, un guéridon de genévrier chargé de deux bouteilles
de Vernach et deMuscatel, d'un saucisson deTempio et d'un
gigot de sanglier. Décidément, si j'ai loué chez les Capucins
l'amour des sites splendides, je ne blâme pas les moines de
la Merci, qui savent profiler de tous les biens, que Dieu nous
accorde pour nous aider ù supporter l'existence, portent un
costume magnifique, et font une excellente chaire. Après
tout, ces bons moines, au sujet desquels je me suis permis
quelques réflexions peu respectueuses , sont moins botes
qu'ils en ont l'air. Ils vivent dans leur couvent, heureux
et tranquilles, s'inléressant médiocrement à la marche de
l'humanité, ce qui n'est pas un grand malheur; ne compre-
nant rien à la religion, ce qui n'est pas étonnant; ne voyant
enfin dans la vie religieuse qu'une exislence confortable et
honorée. Eh ! mon Dieu, cher ami, ne peut-on pas, hélas,
adresser ce reproche à plusieurs membres du clergé de notre
pays? Le moine liquoriste vint dîner avec nous. —
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