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482              LETTRES SUR LA SABDAIGNE.
   La fable élail dressée dans la chambre d'en haut. Sur une
nappe blanche, fumaient un rôli do sanglier, un plat de
macaroni, parfumé au fromage de brebis et des fèves n a -
geant dans une sauce noire et épaisse; enfin, une espèce
d'andouille, faite avec des intestins d'agneau, que les
Sardes appellent: foria-foria, et dont ils font le plus grand
cas. Les trois jeunes filles servaient les convives; mais la
rêveuse Cicia, aux airs de princesse déchue, accomplissail ses
fondions de servante aven une répugnance douloureuse, ne
daignant même pas sourire aux propos égrillards et joyeux
du beau moine. Ce beau moine était pourtant un joyeux
compère, accompagnant chaque bouchée d'une large rasade
et chaque rasade d'une facétie épicurienne. Alors, ouvrant
une bouche pantagruélique, garnie de dents blanches et poin-
tues, il poussait un rire homérique à ébranler la maison. A
la fin du repas, il entonna une chanson bachique qui eut
fait flores dans un dîner débraillé du quartier latin. Déci-
dément, cher ami, vous allez me prendre pour un esprit fort,
poursuivant de ses railleries systématiques le froc et le capu-
chon, mais souvenez-vous que la Sardaigne est inondée de
moines, que la richesse, les honneurs et l'oisiveté ont rendus
insolents, débauchés et cupides, et vous m'excuserez alors
sans peine.
   Quand le repas fut terminé et la chaleur du jour un peu
radoucie , notre moine nous conduisit aux bords d'un ravin
escarpé , au fond duquel mugissent les eaux blanchissantes
d'un torrent, qui se précipite du haut des montagnes et va se
perdre dans les grandes herbes marécageuses de la plaine.
La gaîlé bruyante de notre guide nous aida à supporter les
rayons du soleil, qui nous rôtissaient les épaules. Nous nous
reposâmes jusqu'au soir aux bords du torrent, étendus sur
l'herbe , riant aux folies de notre épicurien en capuchon , et
contemplant les brouillards qui montaient de la cascade être-