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470 LETTRKS SUR LA SARDA1GNE. côté, je me mis à rire comme elles. Mais, loul-à -coup, je vis mes belles rieuses se disperser de touscôlés, les unes courant dans les roseaux, les autres au milieu de la rivière, et poussant ces cris aigus dont les femmes ont le secret : c'é- tait mon gros caccialore qui poursuivait les lavandières, cou- rant à la conquête d'un baiser à travers les herbes et les eaux qu'on lui faisait voler au visage.—Décidément mon guide était digne de son surnom, il élait galant comme tous ses confrères en saint Hubert. Bandits et lavandières avaient dispersé mes rêveries artis- tiques, et je troltais déjà sur la grande roule, que je me croyais encore sous les ombrages du ruisseau, au milieu des fleurs, des roseaux el des jeunes filles. Au reste, les solitudes brûlantes au milieu desquelles je me trouvais, n'avaient rien de bien distrayant. Perdus au milieu des plaines immenses, quelques paysans travaillaient paisiblement, faisant retentir les airs de leurs chanls monotones et traînards : expression involontaire de la mélancolie qui les accable. Ce paysan, ignorant et inepte, qui passe ses jours à chanter ou à réci- ter des patenôtres, vivant au milieu des splendeurs de la créa- tion, qu'il ne sait ni sentir ni comprendre, ne m'a pas semblé s'élever au-dessus des mille productions de cette nature, dont il n'est en effet qu'une partie plus parfaite mais moins belle. Des couples de bœufs petits et grêles traversaient quelquefois la route, portant, en travers de leurs cornes immenses, la petite charrue qu'ils allaient tirer : instrument grossier, d'une simplicité antique, et dont le soc même n'est pas toujours armé de fer. Ailleurs, c'étaient de pesants charriols, dont les roues, pleines et massives, criaient sous des montagnes d'o- ranges. Terre propice, pensais-je, qui, à peine égralignée, se couvre de moissons abondantes! Terre heureuse, où l'o- range mûrit sous des rameaux toujours verls, et que n'attris- tent jamais les venls glacés du Nord ! Terre fortunée, que Fin-