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466 LETTRES SUR LA SARDAIGIVK. surnommé le Cacciatore, et guide obligé de tout voyageur parcourant la Sardaigne; le second n'était autre que votre serviteur, qui se dirigeait vers l'Etablissement Victor-Em- manuel, ferme modèle, fondée sous les auspices du gouver- nement. La route était solitaire encore; mon guide parlait une lan- gue personnelle et inintelligible, mélange bizarre de français, d'italien et d'espagnol ; je me vis donc réduit, pour toute dis- traction, à étudier le pays qui s'offrait à mes regards, aban- donnant mon esprit aux mille rêveries que faisaient éclore et disparaître tour-à -tour l'aspect d'un brillant paysage, le profil d'une montagne, une rencontre fortuite, un hasard du chemin. Je parcourus ainsi, sans mourir d'ennui, les six lieues arides et inévitables, qui séparent la capitale du bourg deSan- luri. Pourrez-vous en dire autant, cher ami, de ces quelques pages, relation pittoresque et morale de celte brûlante tra- versée? c'est ce que je désire, mais ce que je n'ose espérer. Les premières clartés de l'aurore naissante éclairaient déjà ces campagnes, dont je vais essayer de vous esquisser l'aspect. Sur la crête d'une colline modérée, calcinée à plusieurs mè- tres de profondeur , s'alonge la ligne poudreuse de l'unique grande roule de la Sardaigne. A droite et à gauche s'éten- dent des plaines immenses, couvertes de moissons ondulantes, nuancées de teintes fauves et dorées comme la peau d'un lion, et coupées par de larges flaques d'eau dormante ; ça et là des roches crayeuses, blanchies par les rayons continus du soleil, comme les dalles d'une fournaise, et couronnées de cactus gigantesques, Se dressent sur le bleu sombre du ciel. Une double chaîne de montagnes, traversant l'île dans sa largeur, ferme le pays dans ses murailles parallèles. Un moment après, le soleil sortait de la mer et teignait les monts et leurs cîmes neigeuses d'une pourpre éclatante, tandis qu'à l'horizon, l'azur du ciel, devenu transparent et limpide, se