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                   LETTRES SUR LA SARDAIGNE.                      467
couvrait d'une teinte dorée : nuance indescriptible et fabu-
leuse pour nous autres gens du Nord, qui ne connaissons le
soleil du Midi que par les toiles, enluminées d'indigo, de nos
peintres à prétentions orientales. La plaine entière était inon-
dée de lumière et se perdait au loin dans des nuages de sa-
phir. Enivré par la magnificence de ce spectacle, j'arrêtai
mon cheval, et, me tournant du côté du soleil, je répétai ces
beaux vers de l'invocation d'Hermia, de notre poète de La-
prade, revenus soudain à ma mémoire :
        Soleil, ô créateur! la terre te salue ;
        L'être coule de toi, l'être vers toi reflue ;

        La forme te sourit, marbre, écorce ou plumage,
        Pour toi dans l'univers la forme est un hommage ;
        En des tons variés, sur les flots et les fleurs
        Chante en te célébrant le concert des couleurs ;

        Car c'est ta flamme, ô roi ! qui meut tout et qui verse
        Au sein du noir chaos la vie une et diverse.


   Le poète a raison, me disais-je, ces champs mornes et dé-
solés tout-à-1'heure, depuis que le soleil, ce père de la beauté,
les aUouchés de ses rayons, ont été transformés à mes yeux ;
les formes s'y dessinent, la couleur y ruisselle de toutes parts,
la vie enfin y vient d'éclore. Eh bien! les œuvres d'art ne
sont-elles pas soumises aux mêmes lois? oui, la vie est pour
elles la condition nécessaire du beau, et son mode de mani-
festation c'est la forme , et mieux encore, c'est la couleur;
et je m'expliquais ainsi la supériorité de la peinture sur la
sculpture, et celle de Rubens et des Vénitiens sur les autres
écoles italiennes : maîtres divins, adorateurs du beau qu'ils
cherchaient à reproduire sans s'inquiéter de la prééminence
du fond sur la forme, distinction oiseuse éclose du cerveau
malade des aristarques modernes. En effet, dans les arts qu'on