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212 DE L'ÉGLISE, DE L'ÉTAT la société est impossible. Deux voleurs sont d'accord pour commettre un vol, ils s'associent ; ils sont en désaccord sur le partage du bien volé, leur société se dissout. La communauté de toutes les idées ferait une société par- faite, société qui n'a pu se réaliser jusqu'ici qu'entre quelques âmes choisies qui se donnent le doux nom d'ami. Aussi Cicéron définit l'amitié: le consentement sur les choses divines et hu- maines. La pensée humaine, comme nous l'avons vu, ne peut re- vêtir que trois formes : la foi, la science et la philosophie qui tient de l'une et de l'autre ; la société humaine ne peut donc avoir que ces trois idées pour principes. Si la philosophie, telle que je l'ai définie, fondait une société, il est évident que cette société serait parfaite; car la philoso- phie dont je parle étant l'explication mutuelle de la foi par la science et de la science par la foi, ne peut être identique dans plusieurs intelligences que la foi et la science ne le soient aussi. L'unité philosophique entraîne donc l'unité totale ou parfaite ; elle réaliserait le grand consentement des choses divines et humaines de Cicéron, elle ferait un peuple d'amis. Mais à cause de sa perfection même, cette société n'a pu se réaliser jusqu'ici que dans des groupes très peu nombreux. Il peut se trouver quelques hommes qui aient la même foi, une science à peu près égale et qui conçoivent de la même ma- nière les rapports de la science et de la foi; mais que ces condi- tions puissent s'étendre à tout un grand peuple, c'est ce qui est impossible maintenant, et, si cela se réalise jamais, ce ne sera que dans un avenir éloigné, qu'aucune conjecture ne peut encore faire prévoir. Toutefois l'unité sociale que chacun appelle de ses vœux ne sera autre chose que l'unité philo- sophique plus ou moins parfaite. La science et la foi ne sont point circonscrites dans les mêmes limites que la philosophie. Parmi les innombrables faits de la science il en est qui sont à la portée de tous, il en est de né- cessaires même aux premiers besoins de la vie, et comme la