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 64               LETTRES SUR LA SARDAIGNE.
  ils pressurent et maltraitent leurs malheureux vassaux, et même
  on en a vu pousser l'insolence et la tyrannie jusqu'à faire
  prosterner un Sarde à deux genoux, et, posant le pied sur son
  dos, s'élancer sur leur monture; enfin, heureux et privilé-
 giés jusqu'au bout, leur tête, dans les causes criminelles,
  tombe sous la hache du bourreau, tandis que le pauvre citoyen
 n'a pour échafaud que la potence. Mais rendons à César ce
 qui appartient à César; le roi, plein de sollicitude pour la
 Sardaigne , le plus beau joyau de sa couronne, a engagé
 contre les seigneurs une guerre généreuse, mais implacable,
 et dont il sortira vainqueur. Déjà, par ses ordres, cent quatre
 vingt-huit fiefs espagnols ont été rachetés, et ces terrains
 expropriés, divisés et distribués aux cultivateurs; les corvées
 ont été abolies, et la juridiction féodale supprimée. Le mou-
vement progressif est imprimé; une ère nouvelle se prépare
 pour la Sardaigne. La noblesse proteste, supplie et menace,
mais son règne est fini, ses efforts seront impuissants, et une
 révolution aurait bientôt régénéré le pays, si le clergé séculier,
 régulier et irrégulier n'était là, fort de son influence toute
puissante et de son caractère sacré, opposant au bonheur de la
patrie une barrière encore infranchissable. Vous le savez : cor-
ruptio optimipessima : c'est pour le clergé de Sardaigne que ces
 trois mots ont été assemblés. Il serait difficile de se faire une
idée de l'immense population cléricale, apostolique et mona-
cale, qui inonde la Sardaigne ; il faut le voir pour le croire. Les
rues sont encombrées de préires, de monsignori et de prélats,
sans compter des nuées de moines de toute espèce et de toute
couleur. Les évoques sont des puissances qui luttent avec celles
des gouvernants; ils jouissent d'énormes revenus, attachés à
leurs sièges épiscopaux; les chanoines ont droit à des rede-
vances et prébendes, dont quelques-unes s'élèvent au chiffre
énorme de cinquante mille francs; la moindre cure, le plus
pauvre rectorat de village, sont des sources de gains scan-