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LETTRES SUR LA SARDAIGNE. 59
les femmes comme il faut, attestait cette suprême horreur de
tout ce qui est pittoresque ou caractéristique; c'étaient, en
effet, les châtelaines et les bourgeoises de Gagliari. Cependant
le goût natal se trahissait, de ci, de là , dans leur accoutre-
ment, soit par un fichu cramoisi rayé de jaune , soit par une
ceinture vert perroquet, ou par des cascades de chaînes d'or,
de colliers de verre, de pendants d'oreilles étincelants et
autres bijoux de toute espèce. Je restai dans l'église jusqu'Ã
la fin de la cérémonie qui était une messe funèbre, et
m'adossai aux gradins d'un des autels pour examiner en
détail la foule des fidèles qui se retiraient en défilant devant
moi. Hélas! hélas! c'est une triste vérité à confesser, la
beauté est chose rare en tous pays, en Italie comme en
France, en Sardaigne comme en Italie!
Les chants avaient cessé; les cierges fumaient en mourant
sous f étouffoir du sacristain ; l'église était déserte, et ne
conservait de la cérémonie que cette odeur pénétrante de-
colophane, dont les prêtres, ici comme ailleurs, parfument les
temples, sous prétexte d'encenser l'Éternel ; enfin, j'allai me
retirer, quand je vis s'avancer de mon côté une femme voilée,
enveloppée dans une mante noire, qui, posée sur sa tête, tom-
bait à ses talons; elle vint à moi, et, sans relever son voile
qui me dérobait sa figure, sans proférer une parole, me prit
par la main, me conduisit lentement jusqu'au pied de l'autel
et me fit signe de m'agenouiller à ses côtés. — Noble étran-
ger, me dit-elle alors, absolument comme la nymphe Calypso
parlant à Ulysse ou à son fils Télémaque, avec celte diffé-
rence pourtant que ma pleureuse s'exprimait en italien choisi
et élégant, et que sa voix trempée de mélancolie était autre-
ment séduisante que celle de la déesse, noble étranger,
veuillez prier un instant avec moi, pour l'ami que Dieu vient
de m'enlever ; ma prière, appuyée sur la vôtre, lui sera peut-
être plus agréable. — Je ne répondis rien, mais je restai