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60 LETTRES StJK LA SARJMIGNÈ. agenouillé quelques instants, puis je me relevai doucement, et m'éloignai, laissant en prière ma compagne éplorée , et répétant encore entre mes dents : sancta simplicilas ! ô sainte innocence ! ! ! ! Mais il me semble voir votre front se rembrunir, et je crois vous entendre envoyer à mon adresse les épithètes peu bien- veillantes de VoUairien et de sceptique? Non, Monsieur et cher ami, je ne suis point VoUairien, au contraire, je professe pour cette philosophie desséchante et railleuse, ennemie mortelle de l'idéal et de toute poésie, une aversion pro- fonde et insurmontable ; si donc parfois quelques réflexions moqueuses, un Ion un peu trop dégagé effrayaient votre orthodoxie, souvenez-vous que je vous écris du milieu d'un peuple ignorant et superstitieux, soumis à des seigneurs qui le volent et l'outragent, dominé par un clergé insolent et cupide. Quant à l'accusation de scepticisme, vous me con- naissez assez pour qu'il ne me soit pas nécessaire de me défendre ; je suis un homme d'espérance, mais je suis aussi un homme de bonne volonté : et in lerra pax hominibus bonœ voluntatis. En rentrant chez moi je trouvais un billet à mon adresse, il venait du palais de la vice royauté, c'était une invitation à diner que le vice-roi daignait m'adresser pour le jour même. J'étais redevable de cette invitation à l'un de mes aimables compagnons de voyage, M. le chevalier Ferrand, homme éminent, qui joint aux qualités les plus séduisantes de l'esprit et du cœur, des connaissances aussi variées que profondes, et qui a fondé en Sardaigne une exploitation agricole, dirigée par lui: le plus vaste peut-être, mais, à coup sûr, le plus florissant établissement de ce genre. J'avais encore, avant l'heure indiquée, de longs moments à ma dis- position ; je rêvassai un peu, je fumai encore plus et je dormis beaucoup, et l'heure du départ arriva.