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58 LETTRES SDR LA SARDA1GNE. dont les peintures ascétiques et monacales étaient rayées en tout sens par l'ongle du temps et des sacristains, et recou- vertes d'une couche de suie épaisse et impénétrable. Dans le fond, majesteusement dressé au sommet d'une longue échelle de gradins, s'étendait le maître autel hérissé de chandeliers boiteux et de vases biscornus Je cherchai la pierre la moins malpropre et la moins humide et m'y pros- ternai respectueusement. Le service divin était commencé, des moines d'un ordre inconnu, aux regards ténébreux, aux joues évidées, portant sur un front rasé une auréole de cheveux noirs, et sur leurs épaules des lambeaux d'ornements, psalmodiaient les louan- ges du Seigneur avec des voix tantôt vibrantes et nazillardes, tantôt sombres et gutturales, étranglées par un gosier dessé- ché. Quoique dans le lieu saint, je me livrai à une série d'observations quelque peu profanes, mais excusables de la part d'un étranger? Autour de moi la foule était com- pacte, e t , comme en tout pays, les femmes y étaient en grande majorité; les unes brillantes de santé, aux formes ro- bustes et élégantes, au visage épanoui, portant la jupe de laine rouge et le corset de velours noir, galamènt retroussé et enfilé sur une chemise blanche, qui dessine scrupuleusement les sinuosités de leur riche poitrine: pieds nus, mains jointes, accroupies sur leurs talons, elles récitaient le chapelet qu'elles accompagnaient de grands signes de croix et de mea culpa retentissant; c'étaient les femmes du peuple. Les autres, serrées, billonnées, saucissonnées dans des corsets mécaniques, age- nouillées sur des prie-Dieu modernes, étaient habillées à la mode, à la mode d'il y a six ans ; c'est-a-dire, qu'elles étaient coiffées d'immenses chape&ux jaunes ou roses, rebuts des modistes turinoises, qu'elles portaient d'affreuses robes, de couleur indécise, semées de petits bouquets presque invi- sibles, et qu'en un mot, leur toilette, comme celle de toutes