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LETTRES SUR LA SARDA1GNE. 57 que son amante, accroupie contre le balcon, a laissé pendre en dehors. Après une année entière de cette gymnastique sentimen- tale et d'une fidélité immaculée, il lui sera permis de deman- der officiellement à son Géronle la main de la Novia de son cœur Cependant, depuis l'aube du jour les cloches d'une église voisine carillonnaient en fête, je résistai longtemps à leur invitation bruyante; mais enfin, vaincu par leur obstination, je me résignai, et, m'arrachant aux douceurs d'un repos qui ne m'était plus permis, je m'habillai à la haie et sortis. Je suivis machinalement la direction que m'indiquait le son des cloches, le cœur encore tout ému de l'innocence bap- tismale de ce bon jeune homme, et des grâces agaçantes de sa gentille fiancée. J'arrivai donc sans trop savoir comment sur la place de Stampaza, devant l'église délabrée de Saint- Antoine, vieux monument espagnol, à colonnes torses, à portique enluminé et sillonné en tous sens de vivantes arabesques, mais ruiné, usé, lavé et délavé par les ans, le soleil et la pluie. Dans le clocher à jour, on apercevait trois oiseaux d'airain, comme dit Hugo, sur le ventre des quels un homme s'escrimait à coups de marteau avec la vo- lubilité et la précision d'un timbalier du plus grand mérite. Je suivis la foule, compacte et recueillie, qui assiégeait la porte de l'église; j'entrai avec elle dans une grande salle carrée, sombre, misérable, dont le toit, soutenu par une char- pente autrefois peinte, laissait briller çà et là quelque pan de la robe céleste, et dans laquelle le vent, le soleil la pluie et les oiseaux pénétraient librement par des fenêtres dont les vitres étaient absentes. Aux deux murs latéraux étaient adossés d'antiques autels de bois vermoulus et rongés, conservant encore quelques lambeaux de dorure et de verroterie : au- dessus de ces autels étaient suspendus des triptyques espagnols,