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                   MADEMOISELLE DE MA GLAND.                      493

 nève, point de Raoul ; je cours à Gex, mais j'arrive trop tard, et je
 tombe au milieu d'un salon, où Mlle Alix, en costume aussi virginal
 que possible, revenait de l'église en s'appuyant d'un air triomphant
 au bras de Raoul, pâle et défait à en être méconnaissable. Mme de
 la Rochemarque s'entretenait avec deux hommes en noir, témoins
 de la mariée sans doute. A mon aspect, Raoul fut stupéfait ; il vint
 à moi et m'entraîna vers une fenêtre; Alix nous y suivit de son re-
 gard de vipère. Le visage bouleversé de Raoul laissait lire la dou-
 leur qui déchirait son cœur ; c'était celle d'un homme qui vient de
 prononcer sa propre condamnation en mentant à tous ses senti-
 ments dans la plus solennelle circonstance de sa vie. — Ce n'était
 pas pour une semblable union que j'avais désiré ta présence, me
 dit-il d'une voix basse et tremblante ; retourne vers Marie, dis-lui
qu'elle m'oublie, mais dis-lui aussi que je suis bien plus malheureux
que coupable. Si j'ai brisé sa destinée, dis-lui de pardonner, elle
est bien vengée ! — Il me serra vivement la main et sortît. J'allai
présenter mes respects à Mme de la Rochemarque auprès de laquelle
Alix était assise ; malgré tous ses efforts pour garder un air timide
et modeste, elle rayonnait d'orgueil. En prenant congé, je me pla-
çai devant elle, et je la parcourus d'un regard que j'assaisonnais de
toute l'insolence que purent me fournir la pose et le geste ; elle me
comprit sans doute, car elle devint blême de colère ; je la saluai
 profondément et je partis.
   Après avoir pris conseil de M. O'Kennelly, il fut décidé qu'on
userait de tous les moyens possibles pour cacher à Marie le funeste
événement qui brisait sa vie, et qu'on en instruirait M. de Malvi-
gnane. Je lui racontai avec tous les ménagements possibles ce dont
je venais d'être témoin. Ce fut un effrayant spectacle que celui de
la colère de ce vieux gentilhomme, plein d'honneur et de loyauté,
qui ne pouvait voir dans tout ce qui arrivait autre chose, sinon que
Raoul avait préféré Alix riche, à Marie devenue pauvre. Il ne par-
lait rien moins que d'aller couper la gorge à Raoul, et nous eûmes
beaucoup de peine à lui faire comprendre qu'il était plus urgent
d'emmener Marie que de tuer Raoul. Il fallait, avant tout, l'éloigner
avant l'arrivée du jeune ménage qui allait venir s'établir au Genêt.
— Mais cet homme est donc né sans ame et sans cÅ“ur, s'écriait Ã