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494               MADEMOISELLE DE MAGLAND.
tout instant le fougueux vieillard, mais c'est donc le bâtard d'un la-
quais? Non seulement il abandonne lâchement Marie, au moment
où !a perte de sa fortune devait la rendre plus chère à tout galant
homme, mais il ose encore venir sous nos yeux se parer de ses
dépouilles? — Nous eûmes beaucoup de peine à l'apaiser. Il fut
 convenu que Mme O'Kennelly ne serait instruitede l'événement qu'a-
 près le départ de Marie qui devait avoir lieu deux jours plus tard.
    Le lendemain, nous étions tous réunis au déjeuner, quand on ap-
 porta du Genêt quelques objets appartenant à Marie que sa cousine
 lui renvoyait ; l'infernale créature les avait tous enveloppés dans
ses lettres de faire part !
    Marie, bien que triste et inquiète de l'absence de Raoul, était à
 mille lieues de la vérité, juge de l'effet que. dut produire sur elle
 cette cruelle et subite révélation ! Pendant deux longues semaines,
 nous avons tremblé plus encore pour sa raison que pour sa vie.
 Tantôt prise d'une fièvre ardente, les joues en feu, les yeux étince-
 lants d'un sombre éclat, elle appelait Raoul avec des cris déchirants;
 tantôt les yeux fermés, la figure livide, le corps froid et inanimé,
 elle restait des journées entières dans cet état, où la douleur affais-
 sée n'a plus conscience d'elle-même ; mais vainement ses sens
 épuisés cédaient à la fatigue ; son ame veillait dans son corps en-
 dormi , aujourd'hui elle est hors de danger, mais rien ne peut la
 tirer di son abattement ; elle semble n'agir que sous l'impulsion
 d'un mécanisme invisible qui la fait mouvoir en dehors de toutes ses
  pensées.
    L'impression que m'a laissé le spectacle de ses souffrances ,
 pendant les longues nuits que nous avons passées à son chevet, ne
 s'effacera jamais. J'ai assisté déjà à bien des misères, et j'ai pu me
 convaincre qu'il n'y a pas au monde de douleur plus grande que
 celle de l'amour trahi. Il faut avoir pleuré les vivants pour com-
 prendre qu'il peut être doux de pleurer les morts. Ce n'est ni l'or-
  gueil, ni la vanité qui souffrent chez Marie; ce qui saigne surtout
 dans cette profonde blessure, c'est la confiance trompée. Elle aimait
 Raoul avec l'élan, la ferveur d'une ame que nulle autre passion n'a
 jamais troublée ; elle l'avait entouré d'un culte si pieux et si cré-
  dule! Elle l'avait placé si haut dans son estime! Elle aimait, elle