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426 MADEMOISELLE DE MAGLANB. tâchais alors d'oublier des heures follement perdues dans les aspira- tions des joies inconnues à la vie qui m'était destinée. Sœur aînée de cinq grandes filles que ma mère me recommanda à son lit de mort, je dus me consacrer tout entière à cultiver ces jeunes plantes confiées à mes soins; je compris que la tâche qui m'était échue ne remplirait pas mes espérances, et je m'efforçais d'apaiser la révolte qui s'élevait en moi, en entrant courageusement dans la rude voie qui m'effrayait d'abord ; ce fut une grande lutte qui n'eut que Dieu pour témoin, mais j'ai moissonné après avoir semé. Bien- tôt je connus M. O'Kenneliy, et notre affection mutuelle, qui naquit sans secousse, sans orage, n'a jamais varié ni de fond ni de forme, je la retrouve toujours au même degré, et avec elle le temps s'é- coule sans trouble comme sans alarmes. Sans doute, M. O'Ken- nely, qui n'est ni poète ni rêveur, ne se perd pas dans des régions bien éthérées, mais il m'aime d'une affection vraie et profonde, et jamais l'humeur, le caprice ou l'ennui n'altèrent son immuable bonté. Si nous ne connaissons point les brûlantes exaltations de la passion, nous ignorons aussi la lassitude qui leur succède. Enfin, quand votre bonheur ne manquera plus au mien, ma chère Marie, je serai aussi complètement heureuse qu'on peut l'être ici-bas.—Sans doute, Marie trouvait d'heureuses distractions dans la douce amitié de Sara, mais chaque jour augmentait les mortelles inquiétudes que lui causait l'incompréhensible silence de Raoul. Vainement, chaque malin se disait-elle : « Peut-être aujourd'hui saurai-je quelque chose de lui; » et la journée s'écoulait comme la veille. On supporte mieux un mal- heur eonnu, défini, que les cruelles alternalives d'un sort qui, d'un instant à l'autre, peut apporter la joie excessive ou l'extrême dou- leur. Ce fut avec contentement que Marie apprit d'Auguste qu'il allait s'absenter pendant une semaine, et que sans doute il irait à Genève.—Si vous voyez Raoul, lui dit-elle, ne lui cachez pas que je souffre de son silence; peut-être devrais-je lui montrer plus de fierté, mais je crois qu'elle n'existe dans les attachements de cœur que lorsque l'amour-propre l'emporte sur l'affection. — La paresse bien connue de Raoul est, sans doute, la seule cause.... — Ah ! les paresses du cœur sont des oublis, s'écria tristement Marie ! M. de Blossac revint à la (in de la semaine, Iriste et préoccupé,