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MADEMOISELLE DE MAGLAND. 255 œuvre. A propos, on m'a parlé d'un bahut magnifique qu'on a vu chez un paysan à dix kilomètres d'ici. Je le veux pour l'atelier de Raoul, voulez-vous que nous allions le voir demain? — Nous irons tous, dit M. de Malvignane, nous partirons après le déjeûner, et à notre retour nous trouverons le dîner servi au bord du lac dans le bois de la Bâtie. Le lendemain, de bonne heure, Auguste, après avoir jeté un coup-d'œil satisfait sur le choix des provisions, réu- nissait tout uo arsenal pour la chasse et la pêche, sans oublier ses crayons et son album. On se mit en marche gaiment. Beppo ouvrait le cortège en faisant retentir l'air de ses joyeux aboiements. M. de Malvignane, avec la grâce de ces excellents vieillards, qui, jusqu'à la fin, sympathisent avec ce jeune âge qu'ils regrettent, mais qu'ils aiment à retrouver dans les autres, dans un négligé extrêmement soigné qui, de son temps, se désignait ainsi : « être en chenille >>, marchait d'un pas très assuré encore à côté d'Alix, qui avait réussi à se composer une toilette qui pouvait passer pour le chef-d'œuvre de ce mauvais goût particulier aux femmes riches qui ne savent pas être simples. Le temps était beau, presque chaud. Les rayons du soleil vifs et brillants perçaient les clairières, et jetaient çà et là des masses de lumière dans les profondeurs des taillis. Sur les revers des collines, et au fond des vallées des troupeaux en groupes pitto- resques paissaient en agitant leurs sonnettes. La promenade fut délicieuse. On traversa plusieurs de ces charmants villages, dont la physionomie tranquille et heureuse, est particulière à la Suisse. Les cours, où tout est propre et rangé, sont ombragées d'arbres fruitiers ; les animaux sont brillants de propreté et les enfants re- gorgent de santé. — Je me rappelle, dit Auguste, qu'à mon premier voyage en Suisse, fait à petites journées avec quelques amis, nous nous décidions à nous arrêter ou à continuer notre route selon la re- ligion du village que nous rencontrions au coucher du soleil. Si de loin nous apercevions des maisons aux murs blancs s'élevant au milieu d'un groupe d'arbres fleuris, entourées de haies couvertes du linge des lessives, nous étions sûrs d'aborder chez des protestants. Si le hameau était enfoui entre des mares à canards, et des tas de fumier, avec des vieux chapeaux remplaçant les vitres cassées et des loques traînant dans tous les coins, nous entrions avec componction en