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MADEMOISELLE DE MAGLAN1). 253 certaines organisations, dans le contact d'une main amie, quelque chose de si puissamment électrique, qu'aucune parole ne peut en égaler la magique séduction ; Marie était une de ces natures qui vi- vent trop par le cœur pour ne pas ressentir dans toute sa puissance cette mise en rapport, si chastement et si voluptueusement magné- tique. Elle était complètement sous le charme de cette émotion, lorsque, levant lentement la tête elle rencontra le regard de Raoul. Alors, avec cet accent profond et musical qu'une voix de femme ne sait donner qu'à un nom entre tous, elle dit : Raoul, allons trouver mon père ! Ils cheminaient à pas lents, inégaux, dans ce muet ravissement qui n'a pas de nom dans les langues humaines, car la parole, si ha- bile à exprimer la douleur, est presque impuissante à traduire le bonheur ou la joie. Ils savouraient à plein cœur cette jouissance profonde de deux âmes qui écoutent le silence où elles s'entendent aimer. Ce fut pour eux une de ces heures sans nom, où le cœur, trop ému pour parler, trop agité pour se taire, ne calme ses bat- tements qu'en écoutant un autre cœur. Il semble alors que toute la nature sympathise avec nos sensations. Les champs n'ont pas une fleur, les ruisseaux pas un murmure, le jour n'a pas un rayon, la nuit pas une étoile, les airs pas un son qui ne soient l'écho d'un sen- timent. Tout réfléchit l'amour, et l'amour réfléchit tout ; et quand une main tremblante presse une main chérie, quand, pour mieux jouir de tant de bonheur, les yeux éblouis se ferment comme une fleur qui recueille son parfum, quand tous les rêves du cœur, toutes les visions de l'ame se sont matérialisés ainsi un instant, c'est alors qu'il faudrait mourir ! Ils parcoururent lentement le bois et le parc; lorsqu'ils furent près du château, d'un commun accord, et sans qu'un seul mot eût indique leur pensée, ils se dirent adieu. Tous deux éprouvaient le besoin de se recueillir dans leur bonheur.—Adieu Marie, dit Raoul; cette soirée est pour moi une fleur tombée du ciel dont le parfum sera éternel. Ce ne fut pas sans peine que M. de Magland se rendit aux désirs de Raoul; en vain il multiplia les prétextes, il dut céder à ses instances réitérées et consentir à \oir célébrer le mariage de sa fille à une