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234                          TABAC.
disgracieux chez elle que cette malheureuse habitude! Que-
penser de ces jolis nez barbouillés de Macouba ou noirs de
Saint-Vincent? N'y a-t-il pas là de quoi effaroucher toute
la classique nichée des amours, et, dans les innombra-
bles romans qu'étalent à nos yeux les cabinets littéraires,
voyons-nous une seule héroïne entachée de ce goût per-
vers? Non, le sentiment et la tabatière, comme l'eau et le
feu, ne sauraient s'unir et s'identifier, et je suis assuré que
la passion de l'homme le plus exalté s'éteindrait à l'aspect
d'un nez farci de tabac; cette passion, qui aurait résisté
 aux remontrances, aux avis, aux menaces, aux contra-
riétés, à l'absence, s'évanouirait devant une prise ou ses
conséquences fâcheuses parfois.
   Voyez aussi la répugnance qu'éprouve toujours une jolie
femme à l'aspect d'une tabatière ! C'est là le premier mou-
 vement de la nature: c'est celui-là seul qu'il faudrait sui-
vre ; mais le second, et qui a un attrait bien grand, c'est la
 curiosité. Cette jolie femme veut se rendre raison de son
 dégoût, savoir quels charmes l'homme peut trouver dans
 cette aspiration singulière ; elle approche, en souriant, ses
 doigts potelés       hélas! la voilà dans un précipice dont
 peut-être elle ne pourra plus se tirer ; car on peut, au sujet
 de cet entraînement, parodier ce que Boileau disait d'une
 passion moins funeste :
        De prendre du tabac alors que l'on s'avise,
        Une prise toujours amène une autre prise ;
        Et, vers la tabatière avec force entraînés,
        On n'en peut plus sortir dès qu'on y met le nez.

   D'abord elle veut se cacher à elle-même son petit pen-
chant pour cette poudre qui fait l'objet de ses dédains ; puis
elle y cède, et, si quelqu'un prend une prise à côté d'elle,
la voilà qui écornifre la boîte du voisin. On se rit de son
goût bizarre, on lui en fait la guerre, enfin, on veut le lui
interdire     Oh! pour le coup, elle est priseuse ; défendre
à une femme l'habitude vers laquelle elle se sent portée,