Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
60                   CIVITA-VECCHIA EN 1 8 6 8 .

qui sert de mors à une sorte de bride, avec une grosse corde en
guise de rênes. Quels bœufs magnifiques et énormes! Elevés en
rase campagne, ils ont le poil lustré, la robe uniforme (qui d'ar-
gent ou noir-roux) et des poses sauvages d'une fierté sculpturale.
Le taureau romain de Clesinger a été pris sur nature.
   Le fermier des Romagnes, très-paresseux, préfère l'élève du
bétail à la culture du sol. De là, cette incroyable quantité de
bêtes de selle ou de trait que l'on rencontre à chaque détour du
chemin. Le plus pauvre contadino croirait déroger en allant à
pied ; veut-il acheter une pipe d'un sou au prochain village, il
enfourche un bidet quelconque et au galop! a-t-il une botte
d'asperges de marais ou un plan de céleris à vendre, il attelle à
deux ou trois colliers... et fouette cocher ! Aussi que de landes,
que de friches, que d'espace perdu. Il faut des pâturages, je
l'accorde ; mais tel terrain qui ne produit que des chardons et
quelques brins d'herbes, — de quoi nourrir trois bœufs — pro-
duirait, avec un peu de travail, du foin pour tout un troupeau
et du blé pour tout un village. Ohimé ! la terre est trop basse !
   Et puis il fait si bon dormir, au chaud l'hiver, au frais l'été,
tandis qu'un cheval tout harnaché attend à la porte de' la hutte
qu'il plaise à maestro Pietro de faire un petit tour de promenade
pour secouer la vermine héréditaire.
   Voici une scène caractéristique qui se renouvelle fréquemment.
Deux voisins campagnards reviennent du marché. Pour charmer
les ennuis de la route,on joue à la mora : trei,cinque,sete, otto !...
Ce jeu aussi primitif que pigeon-voie a sans doute des attraits in-
 connus aux profanes. Ici le chemin bifurque, Domenico doit
prendre à droite et Paolo à gauche. Allons ! encore une petite
partie,- il n'est pas terd et l'air est bon. On s'arrête à la patte
d'oie. Les chevaux qui savent ce que cela veut dire manœuvrent
de conserve pour se rapprocher de quelque touffe bonne à brou-
 ter, la croupe au vent et la tète à l'ombre. Trois heures après,
nos compagnons sont encore là-, et le hibou effaré, à sa ronde noc-
turne, s'étonne d'entendre deux voix plus enrouées que la sienne
crier dans la solitude : trei, cinque, otto, sete...
   En arrière de la ville, le sol s'élève en molles ondulations dont