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TABAC. 233 costumée d'un gant de peau, enveloppée d'un mouchoir de soie, pour lui épargner le contact de l'air froid ou des chocs fâcheux; on là tient avec précaution, on s'intéresse à la fa- çon dont elle se culotte, on s'y attache, on en tire une cer- taine gloire, on la vante. Or rien de tout cela n'arrive au cigare, pour lequel il est convenu d'afficher le plus déplo- rable laisser-aller : on l'oublie à moitié fumé, on le jette s'il va mal ou s'il a un mauvais goût; on le brutalise pour en élargir les pores et afin d'y faire circuler l'aspiration ; s'il est percé, on bouche sans élégance le trou vicieux au moyen d'un misérable chiffon de papier imprégné de sa- live : nombre de journaux du jour lui servent décompresse en pareille occurrence. Tout ceci me fait dire que le cigare entretient l'égoïsme et l'insouciance de qui s'en sert habi- tuellement; il peut même nous initier dans, la conduite d'un époux envers sa moitié, et j'aurai toujours une meil- leure opinion du mari qui soigne et bouchonne son écume de mer, que de celui qui rudoie un cigare. En maniant ce dernier, on peut pourtant déployer une certaine grâce ; le petit-maître le tient délicatement; il attire ainsi les re- gards sur une main potelée, sur des doigts effilés, sur des ongles bien faits ; ses dents paraissent plus blanches et ses lèvres plus roses, au sein des ondulations noirâtres de la fumée ; en vérité il peut y avoir quelque coquetterie dans tout cela. En outre, si la marchande de cigares est jolie, on va les prendre chez elle un à un ; plus on en achète, plus elle vous voit d'un bon œil ; et chaque emplette est un bâton nouveau adapté à l'échelle au moyen de laquelle on peut escalader son cœur et s'insinuer dans ses bonnes grâces. Certains penchants, je dirai même certains défauts, to- lérés chez les hommes, ne sauraient l'être chez le sexe créé pour plaire. Chacun conviendra, en effet, que si la fenfme doit charmer les yeux et captiver les cœurs, elle manque à sa destination en prenant du tabac. Quoi de plus