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TABAC, 229 le papier sur lequel ils écrivent, les livres qu'ils lisent, en rendent un témoignage, je ne dirai pas éclatant, mais mar- quant. Peut-être la délicatesse des personnes qu'ils met- tent ainsi dans la confidence de leur traitement cérébral en souffre-t-elle parfois ; mais puisque leur tête, à eux, s'en trouve bien, il y a là compensation, comme dirait M. Azaïs, et les inconvénients patents sont balancés, par des avan- tages cachés. Puis il y a cependant quelque grâce à pren- dre une prise de tabac d'une manière irréprochable, à la porter joliment à son nez, à l'aspirer sans accompagner cette opération d'un bruit fâcheux, à ne pas en répandre à terre une trop grande quantité; tout cela indique un homme comme il faut, et le fait distinguer de ces gens grossiers qui jettent brutalement le tabac dans leurs narines, qui le hument en reniflant sans pudeur, qui se frappent à plu- sieurs reprises le dessous du nez avec le pouce d'une main renversée ; qui, s'ils restent quelque temps assis au même endroit, y laissent une traînée noirâtre. Cela est de mau- vais goût, et il y a un certain mérite à éviter ces écueils. Le tabac unit les humains, et c'est sans doute un de ses beaux côtés ; il dénoue la langue, comme disait Horace, fait entamer une conrcrsation, établit ainsi des rapports entre des hommes qui sans cela ne se seraient peut-être pas mutuellement appréciés. Combien ces questions : Monsieur en prend-il? Monsieur en use-t-il? Monsieur en veut-il? n'ont-elles pa« été souvent l'exorde de discours agréables, le principe de relations charmantes, l'origine d'une douce intimité ! Souvent un attachement qui lia deux hommes et s'accrut jusqu'à la mort, prit naissance dans la tabatière de l'un d'eux. Ce n'est pas tout, après avoir uni les individus, il les reconcilie lorsqu'ils se sont brouil- lés, et plus d'une rancune a trouvé son tombeau dans la même boîte qui fut le berceau de l'amitié. La tabatière est éminemment diplomatique, elle fait par- tie de la contenance ministérielle, c'est un meuble indis- pensable pour un homme d'État; et cela est si vrai, que