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486                M. VICTOR DE LAPRADE.

timidement, car je suis moins sûr ici d'être dans le vrai : ces
figures dont la plupart de nos poètes ont tant abusé , l'anti-
thèse , la comparaison, M. de Laprade me semble un peu
trop les négliger. Cet effet saisissant des brusques opposi-
tions , ces images tirées du monde extérieur pour élucider
la pensée , et lui imprimer plus de transparence et d'énergie,
tout cela admis dans une juste mesure donne de la vie à la
poésie et agit fortement sur le lecteur : M. de Laprade, en
y mettant, par excès de conscience littéraire, je le sais, trop de
discrétion , s'est donc privé d'un puissant élément de succès ,
et il arrive ainsi que ses vers, si beaux pourtant, ne provo-
quent ni acclamation, ni enthousiasme, mais une admiration
froide, raisonnée, et, chez les âmes qui sentent, pas toujours
exemple de protestation.
   Mais au moment où je groupais tous ces reproches contre
M. de Laprade, où je l'accusais surtout de n'avoir pas de lar-
mes dans la voix, et de ne pas faire vibrer assez la corde in-
time, je n'avais point lu les Poèmes évangéliques , el en par-
ticulier, les pièces qui commencent el terminent ce recueil :
Dédicace, actions de grâces, Consécration ; je n'avais pas
répondu par toutes les émotions de mon cœur â ce pieux el
douloureux sanglot, à ce cri de l'âme, si déchirant et si beau.
Ah! j'ai mieux compris, en lisant ces admirables pages, M. de
Laprade, el sa vie et ses œuvres. Il y a un vers, le plus vrai el
le plus touchant dans sa simplicité, qui ait été écrit jamais :
      Heureux à qui le ciel donne une sainte mère !
   M. de Laprade avait une sainte mère ; il a pu chanceler un
jour, l'aile sombre du doute a pu l'effleurer ; il ne devait pas
faillir; el le soupir intérieur , trop comprimé , et les larmes
trop refoulées vers le cœur, et la sensibilité qu'on eût dile
inerte ou éteinte, il a suffi du souvenir et de la pensée de
celle mèra pour les faire éclater dans une magnifique explo-
sion» 0 don de Dieu, précieux el ineffable, qu'une pareille