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58 DES PASSIONS mander de plus. Cessons donc de faire ce reproche banal au drame moderne. Au point de vue de l'art, et non de la morale, il est bien vrai que le drame a abusé du coup de poignard. Mais l'innocent dramaturge qui inonde la scène de sang, ne mérite que le sourire des gens de goût; c'est assez pour ses puériles fureurs, l'anathôme est de trop. Selon nous, ce qui se trouve dans nos drames, ce n'est pas l'al- tération et la destruction des beaux sentiments, mais au contraire leur exagération, leur apologie enthousiaste ; on a fait de l'amour, sous toutes ses formes, tour à tour une sorte d'élection, une purification, une réhabilitation, une expiation. Cela n'est pas de l'immoralité, loin de là ; ces idées convenaient fort bien à notre temps. Dans une société sans foi on ne peut s'adresser à la volonté impuissante parce qu'elle est sans guide, il faut donc réveiller les sen- timents capables de produire le bien sans qu'il en coûte un effort quelconque de verlu. Quand la volonté de l'homme défaille, Dieu lui laisse, pour le consoler, l'inspiration ver- tueuse au fond du cœur. Par là il se relève. Si le théâtre avait prêché la force morale, personne n'aurait compris, car aujourd'hui il n'en reste à personne. En idéalisant la puis- sance du sentiment, la littérature fécondait la seule source d'où puisse encore jaillir quelque bien. Ne dites donc pas que notre littérature ne représente pas notre société. Rien n'est moins démontré. Pour nous en tenir au drame, il a étendu, nous l'avons dit, la ma- tière dramatique restreinte dans des limites arbitraires, or, ce drame est né en 1830, et même un peu avant; ce drame, c'était l'avènement de toute une portion de l'homme, de la vie humaine, bannie jusqu'alors du théâtre ; la révolution de 1830, c'était, on le croyait du moins, l'avènement d'une partie de la nation à la liberté et à l'égalité vraie : une hiérarchie arbitraire, détruite dans les deux mondes. Je sais bien que