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par la religion ou la tradition, il peut approcher bien plus de
la vérité. La préoccupation du drame, ce n'est pas de donner
une analyse délicate d'une faculté, mais de créer un person-
nage : quand le poète a tracé, par l'imagination, les lignes
qui figurent les traits, la taille, alors il tâche de le faire mar-
cher , non pas seulement selon la taille et la force qu'il lui a
données, mais aussi selon la nature humaine à laquelle il a p -
partient. Notre théâtre classique, renfermé dans ses règles
d'unité, ne mettait qu'un fait sur la scène ; chaque person-
nage s'y présentait avec sa passion, et, à vrai dire, il ne
songeait guère à être un homme, mais cette passion d'un
bout à l'autre du drame.
    Le théâtre moderne, ayant élargi le cadre où se meuvent
ses créations, ayant embrassé plusieurs années de l'existence
 et même toute l'existence d'un homme, a pu répandre dans
ses œuvres la variété et la diversité de la vie elle-même. Or,
dans ce système, l'individualité se développe avec tous ses at-
 tributs, dont l'instinct est un des plus puissants. L'école clas-
 sique, choisissant les sentiments qu'elle voulait peindre, et
 songeant seulement à les élever au maximum de l'héroïsme,
 repoussait ce qui tenait à l'instinct, comme indigne de la
 scène ; le théâtre moderne, cherchant seulement à peindre
l'homme tel qu'il vit, n'a rien rejeté des parties qui le compo-
 sent; il a idéalisé l'individu tout entier au lieu d'abstraire
quelques sentiments héroïques, grandis jusqu'à cette immuable
vertu qui ne sait plus émouvoir.
    Si le côté de l'homme, qui appartient à l'organisation ,
reparaît dans le monde avec l'école moderne, d'une autre
part, le sentiment lui-même reprend ses justes proportions.
 Ce système, qui grandit sous les sentiments jusqu'à la vertu,
détruit, à vrai dire, le drame et la tragédie dont les véritables
 effets sont la compassion et la terreur (1). Les sentiments r é -
     ( i ) RACINE. Préface â'fphiginie   en Aulide.