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230 L'ABBÉ PERRIN. —-Vraiment ! fit le dragon, en caressant sa moustache. —-C'est comme un ange du bon Dieu, poursuit la bonne femme contente d'avoir trouvé à qui parler; il va chercher le pauvre monde dans sa mansarde et le prisonnier dans sa prison; toujours chari- table, toujours humain... Savez-vous ce qui lui est arrivé un jour dans la prison de Roannne? — Non, contez-moi ça, ma brave femme. — Un dimanche, selon sa coutume, après avoir dit sa messe, il avait donné un sou à chaque prisonnier pour le tabac. Il pense, ce pauvre cher homme, que le tabac console un peu les malheureux de tous les ennuis de la prison.... Il avait adressé aux prisonniers, ses paroissiens, de saintes exhortations, mais pendant qu'il parlait un garnement lui enleva sa tabatière. — Pas possible! dit le dragon, c'est bien mal. — Si c'est mal! je crois hien; c'est abominable! car l'abbé Per- rin aime la petite prise, et les prisonniers savaient cela. A sa place, d'autres se seraient mis en colère, eh! bien, lui, il les a appelés, s'est placé au milieu d'eux, et leur a dit avec douceur : Que celui d'entre vous qui m'a emprunté ma tabatière la remette dans cette main, voilà cinq sous en échange. Je ne veux pas le connaître, • » et il ferma les yeux et plaça sa main derrière son dos, avec la somme promise. On lui remit sa tabatière. —Je vous remercie, dit- il, car j'y tenais beaucoup, elle n'est pas belle, mais elle me vient d'un vieil ami.... — Voilà qui m'attendrit, s'écrie le dragon; le digne homme! et il passa sa large main sur un œil, comme pour essuyer une larme. — Vous pleurez dragon, vous êtes un brave jeune homme, je vois ça.... Vous avez bien raison de dire que cet abbé est un digne hom- me ; c'est la consolation des condamnés, il les accompagne et les soutient jusque sur l'échafaud ; c'est un saint, c'est un ange. — Diable! dit le dragon, prenant des airs orthodoxes; et vous appeliez ce vénérable prêtre? —• L'abbé Perrin, je vous l'ai déjà dit. Là -dessus le dragon, composant sa marche et son visage, prit congé de la bonne femme et s'avança auprès du vieil abbé.