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que de m'y promener, selon mon habitude, dans les heures de dé-
sœuvrement. Le temps était triste; les roches de Saint-Jean, grises
et mornes, se dessinaient sur un ciel nuageux, et un vent d'orage
faisait ployer les herbes de la plaine. Il semblait qu'un souffle de dé-
solation passât sur ces tombes, et dût pénétrer jusque sous l'humide
demeure des morts. Dès que je fus entré, un petit chien accourut
vers moi et me combla d'amitiés. Je m'assis pour les lui rendre, mais
peu après il me quitta, comme déçu de ce qu'il attendait, et il s'éloi-
gna. C'est alors que, le suivant des yeux j'aperçus un homme dans
le lointain. Je cheminai de son côté.
   C'était un fossoyeur. II attendait, appuyé sur sa pelle. Il est à
vous, lui dis-je, ce joli chien? — Non ; à celui qui est dans cette
fosse. Nous l'y avons mis hier ; il faut que le chien soit resté au-
près : je l'y ai trouvé ce matin       Ce n'est pas le premier, ajoti-
ta-t-il.
   Pendant que cet homme parlait, je m'étais approché du chien,
ému envers cet animal de la plus reconnaissante tendresse. Il res-
tait accroupi auprès de la tombe, le mouvement de sa queue m'ac-
cueillait, mais son regard sans gaîté exprimait cette douleur rési-
gnée, si touchante chez les animaux qui en sont susceptibles. A
mesure que je le comblais de caresses, il paraissait plus triste et
plus inquiet ; à la fin il se mit à hurler sourdement, comme si les
atteintes d'une main étrangère lui eussent mieux fait sentir l'absence
de son maître. Pour moi, interprétant ainsi l'abattement de ce ser-
viteur fidèle, j'éprouvais, à sa vue, un attendrissement dont je
cherchais à dérober les signes au fossoyeur.
   Vous attendez un convoi, repris-je bientôt.— Oui ; et qui tarde à
 venir. Voici la pluie ; (quelques gouttes se montraient sur les tom-
bes).—Savez-vousqui est ce mort-là?—Non. A coup sûr un cadavre.
Nous n'en savons que ça nous autres. — Vous ne pouvez donc pas
m'apprendre qui était le maître de ce chien?—Celui-là, oui ; parce
que, de son vivant, il venait nous voir, avec son chien que voilà. Os-
 car, qu'il l'appelait ; (le chien tourna la tête en branlant la queue.)
 Pauvre bête, ça n'appartient plus à personne. Tiens! Et il lui lança
 une croûte de pain sec que le chien flaira sans y toucher.
    Si ce chien n'appartient à personne, dis-je au fossoyeur, je serai