Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
                              139
plus cruel qu'une perte de fortune vint frapper Jean [Journel.
Son père lui fut enlevé, et cette mort le laissa jeune encore sur
une terre d'exil, sans autres ressources que son intelligence,
sa force de volonté et son courage. Quelques années après,
c'était lui, orphelin, qui devenait le chef de cette famille vic-
time des orages politiques; il lui rendait un nom qu'il illus-
trait; un rang, une fortune que son travail réédifiait.
   Trente années écoulées n'ont pu faire oublier à l'école de
droit de Dijon,les succès par lesquels M. Journel se préparait
aux succès plus sérieux qui l'attendaient sur une plus vaste
scène; et le vénérable doyen dé cette école, le savant Pru-
dhon, qui lui avait voué un attachement de père, le citait sans
cesse comme modèle aux jeunes étudiants.
   Dès ses débuts au barreau, il se montra le rival de M. Gras,
son ancien patron ; de M. Lombard-Quincieux, dont la parole
à la fois vive et puissante faisait alors au barreau lyonnais
une sorte de révolution; — de M. Duplan, qui se distinguait
par le jugement le plus sûr et la science le plus sagement em-
ployée ; — de M. Guerre, le Nestor du barreau ; — de M. Sau-
zet, comme de tant d'autres, que recommandait la science du
droit, ou le talent de la parole, quelquefois l'une et l'autre.
  Depuis trenteans, il n'est presque pas de grandes causes aux-
quelles M. Journel n'eût attaché son nom. Depuis longtemps
par là même sa réputation avait franchi les limites ordinaires
d'un barreaude province.
   Chez M. Journel, la faculté de travail était immense; il en
abusa peut-être. Il est même permis de croire qu'il est mort
victime de son amour pour la science à laquelle sa vie fut con-
sacrée. Le titre de docteur en droit était devenu lout-à-coup
pour lui l'objet d'une noble, mais fatale ambition. Trente an-
nées'de succès au barreau devaient néanmoins attester assez
hautement le savoir de docteur, lequel vaut mieux que le
titre.
   Mais voilà que, sans interrompre ses autres travaux, M. Jour-
nel, à cinquante-cinq ans, sentit, au moment où la mort vint