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LE CHRIST D'iVOIRE 3O) Pitié, ses regards, attirés d'abord par la Pieta du xvie siècle qui la décorait, s'arrêtèrent sur le christ d'ivoire, au pied duquel Dom Palémon venait s'agenouiller chaque jour. Il s'approcha et contemplant la merveilleuse image : — Comment, Père, dit-il à Dom Palémon, vous me laissez partir, sans me montrer cette œuvre plus belle encore que tout ce que je viens d'admirer!... Voilà vraiment un bien beau christ! D'où vient-il? Et quel en est l'auteur? — C'est, répondit Dom Palémon, l'œuvre d'un religieux de notre monastère. Il croyait, par cette réponse, avoir satisfait pleinement à la curiosité du grand artiste. Mais il n'avait fait, au con- traire, que la rendre plus vive encore. — Comment, celui qui a ciselé ce christ est un religieux de cette maison, s'écria Puget! Mais je veux le voir, je veux le' connaître, je veux pouvoir lui dire qu'il a fait une œuvre admirable. Puis, comme se parlant à lui-même, il ajoutait, tenant le christ dans ses mains : — Quelle expression divine dans cette tête! Comme elle exprime bien une indicible souffrance! Mais une souf- france calme, sereine et comme divinisée ! Puis, se tournant vers Dom Palémon : — Oui, je serais heureux de connaître son auteur, et puisque c'est un de vos religieux, ce doit être bien facile. — Non, répondit Dom Palémon. Il faudrait d'abord en demander l'autorisation au prieur, et le prieur ne vous l'accordera pas. Pourquoi, d'ailleurs, le verriez-vous? Pour lui adresser des éloges? Mais pour celui qui a renoncé au monde et à ses vaines grandeurs, qu'importe la louange, qu'importe de savoir qu'il a quelque talent? Le talent que Dieu a pu lui donner, il ne doit l'employer qu'à le glorifier.