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                   LES SIRES   DE   BEAU
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satisfaire à renoncer à leurs propres droits. C'était faire
preuve d'une grande hauteur de vue et d'un esprit politique
rare en tout temps, et surtout à leur époque où la force
était souvent à elle-même son propre droit. On dira peut-
être que leur intérêt bien entendu leur en faisait une néces-
sité, et qu'ils étaient les premiers à profiter des concessions
qu'ils faisaient. Cela est vrai, l'amélioration de la condition
du peuple profite toujours aux gouvernants; mais combien
peu croient travailler à leur profit, en se dépouillant eux-
mêmes pour amener cette amélioration. Il faut pour faire
ce sacrifice une largeur d'idée, un instinct politique et une
générosité d'âme peu ordinaires, et ces qualités ne man-
quaient pas aux sires de Beaujeu.
   On a ri, je le sais, de ces privilèges, comme restant bien
au-dessous des droits politiques du peuple. Sans doute, si
on compare aux libertés presque illimitées dont nous jouis-
sons aujourd'hui, ces franchises, accordées par les seigneurs
du xne et du xm e siècle, on les trouvera médiocres et insuffi-
santes. Mais si on examine 1 état antérieur de la société, qui
se caractérise par l'absence de droits pour la masse et par la
prépondérance excessive du petit nombre, état rendu néces-
saire, ne l'oublions pas, par l'abus de la force et le désordre
issus des invasions barbares, on conviendra que dans ces
franchises il y avait un véritable progrès, tel qu'il pouvait
exister alors, et capable d'en amener d'autres plus considé-
rables encore. Le progrès en effet ne se mesure pas sur
l'avenir, mais sur le passé. C'est donc une pure injustice
que de se moquer du temps ancien en le comparant au
temps présent. Car, en somme, ce progrès dont nous
sommes si fiers et qui nous sert de point de comparaison
pour condamner nos aïeux, nous en jouissons sans l'avoir
créé, il est le résultat des longs et incessants efforts de ceux
qui nous ont précédés.