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LES SIRES DE BEAU 214 JEU satisfaire à renoncer à leurs propres droits. C'était faire preuve d'une grande hauteur de vue et d'un esprit politique rare en tout temps, et surtout à leur époque où la force était souvent à elle-même son propre droit. On dira peut- être que leur intérêt bien entendu leur en faisait une néces- sité, et qu'ils étaient les premiers à profiter des concessions qu'ils faisaient. Cela est vrai, l'amélioration de la condition du peuple profite toujours aux gouvernants; mais combien peu croient travailler à leur profit, en se dépouillant eux- mêmes pour amener cette amélioration. Il faut pour faire ce sacrifice une largeur d'idée, un instinct politique et une générosité d'âme peu ordinaires, et ces qualités ne man- quaient pas aux sires de Beaujeu. On a ri, je le sais, de ces privilèges, comme restant bien au-dessous des droits politiques du peuple. Sans doute, si on compare aux libertés presque illimitées dont nous jouis- sons aujourd'hui, ces franchises, accordées par les seigneurs du xne et du xm e siècle, on les trouvera médiocres et insuffi- santes. Mais si on examine 1 état antérieur de la société, qui se caractérise par l'absence de droits pour la masse et par la prépondérance excessive du petit nombre, état rendu néces- saire, ne l'oublions pas, par l'abus de la force et le désordre issus des invasions barbares, on conviendra que dans ces franchises il y avait un véritable progrès, tel qu'il pouvait exister alors, et capable d'en amener d'autres plus considé- rables encore. Le progrès en effet ne se mesure pas sur l'avenir, mais sur le passé. C'est donc une pure injustice que de se moquer du temps ancien en le comparant au temps présent. Car, en somme, ce progrès dont nous sommes si fiers et qui nous sert de point de comparaison pour condamner nos aïeux, nous en jouissons sans l'avoir créé, il est le résultat des longs et incessants efforts de ceux qui nous ont précédés.