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   292                        TACITE

     qualités du grand écrivain ne leurs apparaissent que dans
     le lointain. En revanche, ils voient de près des défauts qui
     ne sont pas les siens. C'est de ces critiques prévenus que
     nous viennent les reproches d'obscurité, d'affectation, de
     finesse outrée, de latinité de décadence.
       Rendons justice à Montaigne, il a lu Tacite d'un trait,
    et cela à une époque où tout ce qui reste de Tacite était à
    peine connu, et où, sûrement, il n'existait pas encore un
    bon texte de ce qu'on en avait. Ses réflexions, à cet égard,
    forment un article piquant, parmi les choses remarquables,
    qu'a écrites cet auteur. Ce qui honore son jugement, c'est
   qu'il admire quelques-unes des éminentes qualités de
   l'historien romain, entre autres, l'abondance de ses obser-
   vations morales, de ses sentences, la philosophie de ses
   déductions. « Ce n'est pas, dit-il, un livre à lire, c'est un
   livre à étudier, à apprendre. » Mais il est de ceux qui lui
  trouvent un style affecté, de l'enflure dans la phrase et de
  la subtilité dans les réflexions.
      Saint-Evremont n'est pas moins rigoureux. Dans des
  observations, d'une certaine célébrité, adressées à Isaac
  Vossius, il prétend que Tacite tourne toute chose en politi-
  que et n'accorde pas assez de part, dans les affaires, à la
  nature et à la fortune. Partant de là, il reproche à l'historien
 romain de faire des tableaux trop finis, de donner trop
 peu au naturel, de représenter ses idées et non les choses
 elles-mêmes, de passer par de là les affairas par trop de
 pénétration et de profondeur, de dérober les vrais objets
 derrière des spéculations trop fines, de trop mettre en
 relief l'habileté des méchants, de rendre la cruauté pru-
 dente, la violence avisée, le crime délicat, enfin, d'enseigner
 aux gens de bien l'art de la méchanceté et de leur appren-
 dre à devenir criminels. Sans être aussi explicite, Saint-
Réal abonde dans ces idées. Pour l'honneur de la critique,
il était nécessaire qu'elle réagît contre de tels juge-
ments.
   En effet, personne aujourd'nuin'oserait les soutenir. Nos