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284 TACITE donné qu'aux écrivains de haut vol d'atteindre à ce secret, c'est-à -dire, avec les mêmes mots, la même grammaire, de se créer, pour parler, une manière à part qui est le cachet de leur génie, et qu'on ne saurait leur emprunter sans s'exposer à un plagiat ridicule. Ces écrivains sont rares. Les siècles passés n'en ont fourni que quelques-uns. Il y a la langue d'Homère, peut-êtrecelle de Virgile. Nous disons hardiment la langue de Bossuet, de Lafontaine. Eh bien, Tacite appartient à cette phalange d'élite. Que l'on place devant vos yeux vingt citations latines, sans indi- quer le nom des auteurs auxquels elles appartiennent, pour peu que vous soyez familiarisé avec les classiques, la citation de Tacite ne vous échappera pas ; parce que Tacite a un tour de phrase, une originalité d'expression, une couleur de figures, une hardiesse de formules, des licences de syntaxe qui ne se rencontrent que chez lui. Donnons-en quelques preuves : Dies quo reliquiee (Germanici) tumulo Augusti infère- bantur, modo per silentium vastus, modo per ploratus inquies (1). Cet agroupement inusité de mots qui produit l'immensité de la solitude par le silence et une agitation tumultueuse par les pleurs, pour rendre l'effet d'une grande tristesse, je ne le retrouve dans aucun autre auteur. Se- cond exemple : Tacite, parlant de Pomitien que les lau-. riers d'Agricola empêchaient de dormir, dit : Quodque seevcv cogitationis indicium erat, secrelo suo satialus, optimum in prœsentia statuit reponere odium donec impetus famée et favor exercitus languesceret (2). Ce (1). Le jour, où les cendre* de Geimanicns firent portées dans le tombeau d'Auguste s'écoula dans un morne silence qu'entrecoupaient les gémissements. (Annal., 1. III. c. iv.) (2) Aprs s'être rassasié de ces fnédi tations solitaires indice, chez lui, de sinistres desseins, il crut politique, pour le p ései't, de ne pas dévoiler sa haine, et de laiss-r le premier élan d'admiration et la faveur de l'armée s'affaiblir. (Agricol., vit. c, xmx.)