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POÉSIE Nous dûmes accepter cette épreuve dernière De ne nous marier qu'après une moisson. Cependant il courait un étrange frisson ; Tous nos vieux paysans, impassibles naguère, S'attroupaient et parlaient de récolte et de guerre ; Et souvent ces mots-là m'avaient fait tressaillir ; Ce qu'on sème aujourd'hui pourra-t-on le cueillir ? Quel danger menaçait notre chère Lorraine ? Au devant du malheur la destinée entraîne ; Constamment j'épiais ce qu'on échangeait bas. Ah ! ceux qui vont semant les germes des combats, Qu'ils soient maudits de Dieu ! Pour le soldat qui tombe, Pour la mère éperdue au bord de cette tombe, Pour tant de cœurs brisés, oh ! oui, qu'ils soient maudits ! Hélas ! c'était la guerre et les malheurs prédits, Bientôt nos régiments traversaient le village Et joyeux, les soldats nous criaient tous : Courage ! Hier encor vainqueurs, pouvaient-ils se douter Qu'une avalanche humaine allait tout emporter ? Qu'un million luttant contre quatre cent mille, Leur intrépide ardeur deviendrait inutile ? Ils passaient, nous laissant beaucoup de leur espoir ; Puis le canon gronda, du matin jusqu'au soir ; Puis un jour arriva cette nouvelle horrible : L'ennemi sur le sol posait son pied terrible Et s'avançait vers nous, triomphant et cruel. La France consternée "à tous faisait appel, De toute part vibraient les chants patriotiques : Les uns, prêts à mourir, accouraient héroïques ; D'autres, hélas ! suivaient les larmes dans les yeux. Ce n'étaient que longs cris et que touchants adieux : Le désespoir amer se mêlait au sublime. En voyant devant nous s'entr'ouvrir cet abîme, Où tout notre bonheur allait être entraîné, Lui, disait frémissant : Pourquoi donc suis-je né ? — Je me pressais le front, n'ayant qu'une pensée ;