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            UN ANGLAIS QUI PENSAIT PROFONDÉSIENT.               329

la nation française se composait principalement de maîtres de
danse et de coiffeurs ; le peuple français ne portait que des sa-
bots et se nourrissait à peu près exclusivement de grenouilles.
   Or, il avait en horreur ces citoyennes des étangs, comme les
appelle La Fontaine, et qui lui en eût servi une, vivante ou morte,
l'eût plus sûrement mis en fuite que jamais polisson des villes
habitées par le peuple de Moïse n'a fait fuir enfant de la Synago-
gue en le poursuivant d'une oreille de cochon. La France et la
Savoie, vu leur proximité, ne pouvaient avoir à ses yeux qu'un
même genre d'alimentation ; de là les précautions et les garan-
ties auxquelles il avait eu recours à la table du Petit-Paris, avant
de toucher à aucun mets.
   Arrivés à la Grande-Maison, nous dûmes y souper et y prendre
gîte pour la nuit.
   M. Jobsthon, à la vue des eaux et des terrains marécageux qui
abondent dans cette localité, sentait plus que jamais se réveiller
ses appréhensions, et se montrait excessivement préoccupé de la
chair qui nous serait servie.
   — Votre souci me fait peine, monsieur, lui dit le père Mouton;
permettez-moi de le faire cesser. Sachez donc que nous ne som-
mes point assez riches en Savoie pour manger nos grenouilles, et
vous n'avez aucune surprise, je vous l'affirme, à redouter de ce
côte.
   — Oh ! oh ! fit l'Anglais, être-t-il dans le possible , dites vô
vrai à rnoâ ?
   — Rien n'est plus vrai, et vous allez en comprendre la raison.
Je ne sais ce que font les paysans et les fermiers anglais, mais
voici ce que font les paysans et les fermiers en Savoie. Personne
autant qu'eux ne peut s'appliquer justement le fameux sic vos
non vobis. Ils cultivent le froment, mais non pour en pétrir
leur pain. Ils le vendent, s'en font l'argent nécessaire pour payer
leurs impôts et leur prix de forme, et vivent du pain noir que
leur fournissent leur seigle, l'orge et le sarrasin. Or, c'est là
précisément ce qui se renouvelle au sujet des grenouilles. Nos
pauvres Savoyards les aimeraient beaucoup ; mais comme ils sont
toujours sûrs d'en tirer un bon prix en France, où les marchés