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DE LA FRANCE. 453 Dans notre littérature classique, l'humanité domine exclu- sivement : le sentiment de la nature extérieure n'y laisse pas de traces. Jamais la sirène des forêts et des montagnes n'a arraché nos poètes à leur amphithéâtre psychologique ; comme aussi jamais l'extase ne leur a ouvert les portes du monde in- visible ; jamais le souffle mystique ne les a emportés plus haut que les toits des cités ; ils ne s'abaissent guère vers les fleurs des champs et n'ont pas d'ailes pour s'élancer vers les étoiles, ils marchent avec décence dans les rues des villes ; Dieu n'ap- paraît jamais chez eux ni comme infini, ni comme amour; les plus chrétiens n'ont jamais senti Jéhovah porté sur les eaux ou Jésus gravissant le Calvaire. L'école naturaliste du XVIIIe siècle ne put s'élever jusqu'à la notion de la vie uni- verselle dans la nature. Tous, croyants ou sceptiques, ne font intervenir Dieu que comme une espèce de législateur stoïque nécessaire pour donner une sanction à la morale; ils n'ont ja- mais compris l'Éternel qu'au point de vue le plus humain ; mais l'idée ontologique de Dieu, le sentiment de l'infini, le sentiment de la vie divine, on ne le découvre pas plus dans les vers de Racine que dans ceux de Voltaire. Cette tendance de nos poètes classiques à ne mettre en scène que l'homme, à se passer de Dieu et de l'univers, de- vait en entraîner une autre, celle de peindre l'homme lui- même par son côté le plus abstrait. En effet, isolez l'homme des circonstances extérieures qui modifient le type hu- main en sens divers, et vous arriverez à n'avoir plus qu'une formule générale au lieu de figures individuelles. L'ancienne école faisait abstractiou de toute particularité de temps, de lieu et d'organisation, pour ne concevoir que les types les plus universellement humains. Â cette généralité <17idées, à cette absence de couleur locale, notre littérature a dû l'avan- tage de se vulgariser si facilement chez les étrangers et de succéder a l'universalité des littératures grecque et latine.