page suivante »
442 DU GÉNIE LITTÉRAIRE parole, toute littérature affecte deux formes différentes: la poésie et la prose. Chacune de ces deux formes correspond à l'une des deux natures de l'homme. Par la raison et par le cœur, l'homme participe à la nature infinie, au monde divin; par les sens et par le corps il participe à la nature physique au monde fini. Cette dualité de l'homme, qui se manifeste d'une manière si éclatante dans l'histoire de l'espèce comme dans la vie de chaque individu, sert de point de départ û deux ordres distincts qui se retrouvent dans tous les genres de dé- veloppements de l'humanité. Il y a dans l'art l'idée el la forme; il y a dans la parole la pensée el le langage; il y a dans la société le droit el le pouvoir qui veille à la réalisation du droit ; il y a dans la vie de l'homme la méditation et l'action; toujours l'esprit à côté de la matière, le fini à côté de l'infini. En étudiant les deux formes de la littérature par rapport à ce double élément de la nature humaine, c'est la poésie qui nous apparaît bien vite comme dérivant du sentiment de l'infini ; elle habile les régions spéculatives de l'âme , elle est en dehors el au-dessus du monde de l'action. La prose, au contraire, est le langage de la vie pratique, de la réalité m a - térielle. Toute langue participe plus ou moins spécialement à l'une de ces deux natures, selon que l'intelligence du peuple qui l'a façonnée pour son usage est plus ou moins portée vers la contemplation ou vers l'action. Chaque langue a donc une aptitude plus prononcée pour servir d'interprète à la prose ou à la poésie. A laquelle de ces deux formes la langue française, d'après ses caractères généraux , paraît-elle le plus favorable. Est-ce à la poésie? La poésie est la forme par excellence de la pensée, parce qu'elle esl plus complète, parce qu'elle renferme plus de vie , parce qu'elle est plus conforme à la manière dont se