page suivante »
ROME AU SIÈCLE D'AUGUSTE. 177
difforme , population infime , estropiée et boueuse, digne
devancière de la Cour des Miracles , voyez ces riches (1) et
ces prodigues (2) dont les provinces gémissantes nourrissent
le luxe effréné et les passions sans limites (3) ; visitez ces
piscines (4), où l'orgueilleux et dur patricien fait jeter aux
murènes son esclave indocile ou maladroit ; et ces villas (5),
partage commun du Midas aux oreilles d'or , et du poète sa-
tirique qui le montre au doigt et le désigne aux sarcasmes
des passants.
La femme n'est pas oubliée dans cette revue assez géné-
rale pour devenir finement indiscrète. Suivez cette jeune es-
clave dans l'opulente maison de Paula , et, guidé par elle
dans tous les détours du palais de la matrone qui l'a maltrai-
tée la veille, écoutez les confidences de la malicieuse suivante.
O monde d'une femme (6), que vos mystères sont traîtreuse-
mentdévoilés aux profanes! « C'est ici, disait Napé, que nous
refaisons chaque matin la jeunesse de notre douce maîtresse.
Vous croyez que la belle Paula a une magnifique chevelure ;
elle en a plus d'une, comme vous voyez; ces beaux cheveux
d'un blond ardent viennent de la Germanie, et sont vendus Ã
Rome dans les tavernes du portique Minucius, vis-Ã -vis du
temple d'Hercule-aux-Muses. En descendant le soir au
champ , les femmes passent là , et lorsqu'on a été belle, et
qu'on veut l'être encore ou le paraître, il est bien difficile
de résister à celte vue. Il nous fallait beaucoup de temps pour
coiffer Paula quand elle commença à vieillir, pour lui ôter
ses cheveux blancs ; mais, depuis qu'elle est chauve, ces coif-
fures toutes préparées... abrègent singulièrement notre be-
sogne...— Ouvrant ensuite différentes boîtes, Napé en tire
des dents, ou, pour mieux dire, des rangées complètes de
dents d'os ou d'ivoire, qui s'ajustent dans la bouche, et se
relient sur les gencives au moyen de fils d'or. Elle me fit voir
une quantité de petits pots d'albâtre ou d'étain , renfermant,
me dit la rieuse, le teint frais de sa maîtresse, et tout ce qu'on
appelle les médicaments de la blancheur et de la rougeur. »
N'allons pas plus avant dans ce perfide inventaire. Il n'a
sans doute rien de commun avec les toilettes de notre épo-
que , et pourrait servir seulement aujourd'hui à prévenir les
dames qu'elles ne doivent pas irriter Napé par de mauvais
traitements.
( i ) T . m, p. 3 3 9 . — (a)T. iv, p. 14. - (3) T. 1, p. »74.(4) T. n, p. 4 1 ,
— ( 5 ) T. ni, p. 2 7 1 . — (6) T. I T , p . 1.
12