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                       M. ALEXANDRE DUMAS.                         157
 paraissent le mieux empreintes de son cachet, M. Dumas a toutes
 les qualités et aussi quelques-uns des défauts de l'improvisation.
 Sa plume, toujours facile, court sur le papier sans hésitation, sans
 effort. Par un procédé qui serait un artifice de composition savante
 s'il n'était tout simplement une habitude de son esprit naturelle-
 ment dramatique, M. Dumas substitue presque toujours le dialogue
 au récit, le tableau à la description. Ses romans ont leur mise en
 scène comme son théâtre. Le plus souvent, les personnages sont
 faux ou exagérés ; ils n'ont jamais appartenu au monde réel, leur
 caractère est impossible; mais ils vont, ils viennent, ils montent,
 ils descendent, escaladent les murailles, franchissent les fossés; ils
ont toujours quelque chose à la main, verre à boire, mandoline,
épée, lettre ou poignard. Tout cela se croise, se heurte, jase,riposte,
se contrecarre et s'égorge finalement. En attendant, le fil de l'in
trigue se perd, se retrouve, s'égare, se retrouve encore, comme un
filet d'eau vive qui, serpentant à travers les méandres d'une contrée
pleine d'accidents, disparaîtrait tantôt sous quelque voûte souter-
raine et tantôt dans un bois. On gravit la voûte et l'on côtoie
le fourré pour retrouver la source une lieue plus loin. A pro-
prement parler, M. Dumas n'a jamais de plan arrêté; les diverses
parties de son œuvre rayonnent, mais ne convergent pas. Il part,
sans trop savoir où il vous mènera, n'ayant pour se guider que
quelques jalons plantés à de lointaines distances, mais vous pouvez
vous fier à lui pour égayer la route et charmer la longueur du
voyage.
   Le style des romans de M. Dumas vaut mieux que celui de ses
drames; il est vif, clair, animé. Cependant il n'a ni arêtes ni con-
tours ; il manque de profondeur, de finesse, des qualités en
un mot qui constituent vraiment l'écrivain. Sa phrase abonde,
sinon tout à fait en incorrections, du moins en négligences, qu'expli-
que assez la rapidité prodigieuse de la composition, rapidité pous-
sée si loin que le romancier néglige, en écrivant, les points, les
virgules et toutes les divisions du discours. Ce sont les compositeurs
ou le prote d'imprimerie qui suppléent par leur intelligence à cette
inobservation des règles grammaticales, M. Dumas ayant calculé
qu'il perdrait à s'y conformer environ une demi-heure par jour.