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220 DANTE, BOCCACE, à une interprétation bien différente de la leur. Suivant lui, le danno délie carte ne désigne autre chose qu'une barbare, habitude chez les moines du Mont-Cassin de gâter les livres, ! en coupant les marges des manuscrits pour en former de pe- : lits psautiers qu'ils vendaient aux femmes, et certains petits; livres qu'ils vendaient aux enfants. Tel est le danno délie carte, selon Benvenulo d'Imola. Ce qui le conduisit à adopter une pareille idée, ce fut la peinture que Boccace lui fil du triste état dans lequel il avait trouvé la bibliothèque du Mont-Cassin. Boccace, en effet, ra- conte que, se trouvant dans la Pouille, c'est-à -dire dans le royaume de Naples, il se rendit à l'abbaye du Gassin, et que, désirant voir la Bibliothèque, qu'on lui avait donnée pour très belle, il demanda fort humblement à un moine qu'il voulût bien la lui ouvrir ; mais que celui-ci lui avait brutale- ment répondu : Montez, elle est ouverte ; qu'alors, y étant monté, il la trouva sans porte ni clef, avec de l'herbe aux fenêtres, les rayons et les livres ensevelis dans la poussière, et que, tout ébahi, portant la main tantôt sur un livre, tan- tôt sur un autre, il en trouva quelques-uns auxquels man- quaient des cahiers et les bords des pages, qui, enfin, étaient abîmés de mille manières. Comme le cœur lui saignait à voir les peines et les études d'illustres esprits tombées en des mains de scélérats, il s'en alla consterné d'un tel désastre. Il ren- contra alors un moine, il lui demanda pourquoi des livres si précieux étaient si mal tenus, et le Religieux lui répondit que quelques moines voulant gagner quatre à cinq sous, coupaient un cahier et en faisaient de petits offices qu'ils vendaient aux enfants ; qu'avec les marges, ils faisaient de petits bréviaires (brevia), qu'également ils vendaient aux femmes. Et Boccace termine son lamentable récit par ces paroles : A présent, homme studieux, va donner de la léle contre un mur pour acheter des livres.