Revue du Lyonnais » série 1 - n°19 ( 1844 ) » pp.369

                        ODES ET VOÈMES.                         369

 ration que le poêle a arraché lui-même son cœur de sa poitrine,
 qu'il l'a jeté saignant sur la table de marbre, et que là, en face
 de tous, le scalpel en main, il l'a fouillé dans ses fibres les
plus tenues. Tant que de nobles cœurs ont palpité sur la ta-
 ble de l'analomiste, le spectacle a été saisissant, terrible ; mais
le scalpel n'a pas tardé à s'exercer sur des cœurs moins dignes
 d'intérêt. A l'énergie primitive, aux grandeurs épiques des
souffrances morales a succédé l'oisiveté des rêveries vulgaires,
 une mélancolie chronique, quelquefois suspecte de sincérité.
La muse du XIX e siècle a pris le deuil ; elle a collé des larmes
postiches où sa devancière en paniers avait posé des mouches.
    A mesure que la douleur qui avait fait vibrer les grandes aroes
des maîtres s'amoindrissait chez les disciples, l'activité de ceux-
ci s'égarait dans les tâtonnements d'une psychologie douteuse.
Us descendaient aux mesquineries de l'autobiographie. Quel-
ques-uns se prirent à greffer la fantaisie sur la subjectivité ;
et vous savez avec quelle profusion l'arbre donna pour fruits
des phrases ciselées, découpées, étoilées, des métaphores
de toute couleur et des rhythmes de tout dessin.
    Nous n'avons pas cependant l'intention de jeter ici la pierre
à l'ensemble de la littérature subjective. Nous nous souvenons
trop que pas un des fils du siècle n'a détourné sa lèvre de la
coupe enivrante que lui tendaient ces douloureux fantômes
qui s'appellent Verther, René, Child-Harold ; que notre gé-
nération toute entière s'est trop souvent complue aux chants
plaintifs de ces'dmbres pour avoir le droit de renier les heures
d'amères jouissances passées à les écouter.
    Toutefois il était temps d'en finir avec ces rêveries, ces
plaintes maladives. Gomme le pâle Narcisse de la fable antique,
la poésie subjective, éprise de sa propre image, s'épuisait dans
l'éternelle contemplation d'elle-même. Que l'on veuille aussi
aller au fond des choses et l'on comprendra comment, par sa na-
ture même, cette poésie était condamnée à une précoce et iofail-
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