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 320                DE LA MAUVAISE SANTÉ

  sances d'affection. C'est un des beaux côtés de la mauvaise
  santé, que de nous rendre plus susceptibles de toutes les émo-
  tions tendres, et de nous faire goûter un plaisir plus in-
  time dans l'amour qu'on nous donne. C'est alors qu'on sa-
  voure à plein cœur cette volupté si douce et si pure, que
  donne la certitude d'être aimé ! alors on voudrait vivre tou-
 jours malade; alors nos maux sont des fêtes!
     Le temps de la maladie est un temps propre aux mé-
 ditations profondes ; les âmes auxquelles la terre ne surfit
 pas, rêvent alors cette autre vie dont elles ont un souvenir
 ou un pressentiment. Alors les passions dorment, et ne trou-
 blent plus de leurs voix orageuses les chastes souvenirs de
 la pensée. Nautonnier assis sur la rive où le vent jette encore
 autour de lui les vagues de la tempête, l'homme soustrait
 un instant à la tourmente terrible au milieu de laquelle le
 précipitent l'exigence de ses désirs et la faiblesse de son
 pouvoir, assiste à sa propre vie, à ses propres sensations com-
 me à un spectacle. Il rétrograde par le souvenir vers les
 jours perdus, vers chacun des bonheurs qui ne sont plus;
 mais, au lieu de ces tristesses amères et sans plaintes qui
 venaient naguères empoisonner ses veilles, c'est un doux
état d'inertie où. il ne peut creuser une idée triste sans qu'elle
lui échappe. Il se nourrit de jouissances paisibles, il songe
à ceux qu'il aime, à une figure chérie dont la présence
va lui apporter un instant de bonheur ; il évoque les om-
bres aimées des premières affections de son cœur ; et ces
rêves aussi doux que la brise qui apporte au voyageur le
parfum des fleurs de sa patrie, bercent doucement le ma-
lade comme une tendre mère endort sur son sein un en-
fant nouveau-né. Il y aurait une inintelligence et un pro-
saïsme déplorable à nier tout ce que renferme de bonheur et
de poésie cet état de l'ame qui semble suspendue à un sou-
venir du ciel: de la terre et du monde l'on ne sait plus rien.