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DE LA MAUVAISE SANTÉ, ETC. 319
profonde et désespérée de tout ce qui est, dont tout mal
frappe ces existences solides qui échappent au sentiment com-
me à la pensée, et sont étrangères à toutes consolations
inlellectuelles. Pour ces vulgaires égoïstes, pleins de la con-
viction qu'une santé ferme et inébranlable est îe premier
des biens, la maladie est un malheur. Il n'en est point
ainsi pour ceux qu'une organisation d'un autre ordre sou-
met à des maux presque incessants. Pour le malade de
choix, le valétudinaire fier décommandera la partie maté-
rielle de son être, souffrir, c'est vivre; la mauvaise santé
apporte un maintien ù son existence ; on n'a pas à lui de-
mander ce qu'il fait de sa vie, il souffre, voilà sa tâche.
La mauvaise santé, expiation ou plutôt complément des
natures d'élite, réserve à ses élus des trésors de jouissances ;
elle donne à l'ame un essor inaccoutumé; à l'étroit dans
le corps, elle s'agite comme un papillon qui au premier
rayon du soleil sort de sa chrysalide, secoue ses ailes h u -
mides et plissées, s'épanouit comme une Heur, et s'aban-
donne au vent. La mauvaise sanlé est une fée bienfaisanle,
une puissance placée entre Dieu et la créature pour élever
l'homme aux joies du ciel, qu'il ne pourrait atteindre sans
elle. Les Orientaux, dans leur langage poétique, disent que
la maladie est un ange qui porte l'ame aux pieds d'Allah.
Les passions les plus délicates, les plus étherées dérivent
souvent de l'organisation physique ; ainsi, quand la ma-
chine se détend, que les forces s'éteignent, l'ame se re-
plie sur elle-même, elle surabonde d"amour et de sensibilité ;
les sentiments intellectuels se développent, s'agrandissent ;
et, devenus insuffisants à nous-mêmes, nous nous appuyons
doucement sur les liens qui attachent notre cœur; ils sem-
blent le presser plus étroitement, et le moindre témoignage
d'amitié, la plus légère marque d'intérêt donnée par ce qui
nous entoure, nous fait découvrir en nous de nouvelles puis-