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172                                HENRI MONDEUX.

l'ame d'un Descaries est venue se revêtir du corps d'un pâtre de la Tou-
raine ; mais nous croyons qu'il est plus vrai de dire que la vie contempla-
tive, la vie de liberté convient au développement du génie, et que tel in
dividu qui est devenu un homme célèbre, serait reste nul s'il avait vécu
dans une condition de dépendance. Et voyez, d'ailleurs, les bergers de la
Chaldée, fesant la science de l'astronomie et du calcul. Voyez les Giotto
et les de Reyser dessinant leurs chèvres sur le sable, et fesant plus tard
de leurs toiles, de sublimes miroirs où la nature venait se daguéréotyper
avec ses accidents, ses mouvements et ses couleurs si belles et si variées.
Voyez le Sparlacus         sorti du ciseau d'un berger forézien, voyez le domaine
de la science élargi par les Monge, les Condorcet, les Poisson ; et, dans
un autre ordre, Jasmin, Reboul, Magu, Eeuzeville, Lebreton, tous poètes
ouvriers qui, comme le roi des chansonniers et des philosophes modernes,
trouvèrent la lyre de Pindare dans leur sombre et étroite mansarde. Comme
eux, Henri Mondeux vécut dans l'isolement, l'indépendance et la misère ;
comme eux, il vit son génie naître et grandir dans l'obscurité, sans se jamais
douter que le génie est un don du ciel.
  C'est à cinq ans que le jeune berger commença à assembler de petits
cailloux dans un coin de son champ et à s'initier aux mystères de la science
des nombres ; c'est à cinq ans qu'il commença , comme la science a com-
mencé ( t ) . Et, chose extraordinaire, son génie suivit absolument la rout»
frayée par la marche de l'intelligence humaine.
  Il abandonne bientôt ses cailloux et ne se sert plus que de ses doigts.
Il apprend ainsi le calcul décimal, puis il n'a plus besoin d'auxiliaire, sa
mémoire lui suffit. C'est alors qu'il traduit un jour l'âge de ses petits ca-
marades, qu'il fait les calculs de tous les fermiers du canton. La multipli-
cation est son exercice favori, il fait des progressions géométriques, des élé-
vations aux puissances , deuxièmes et troisièmes, sans savoir ce que c'est
qu'une puissance, sans connaître les signes représentatifs des nombres.
  Chaque passant lui donnait un petit conseil, une petite leçon et un petit
sou. C'était pour lui un encouragement puissant, et il sut bientôt traduire
un nombre considérable d'années en minutes et en secondes.
   Il en était là, gardant encore son troupeau de vaches aux environs de
Tours, quand il fut rencontré, ainsi que le racontent ses biographes, par
M . Emile Jacoby, maître de pension, ex-directeur d'un journal à Tours.
Ici commença pour le jeune berger une ère nouvelle. Son génie avait été



  ( i ) C.UXUI.1 cailloux J' 0 ù vient calcul.