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500 VICTOR CE LAPRA&E un air libre, et vient dans les montagnes réveiller aux sou- ces éternelles son âme engourdie. Il y a entre cette âme et la nature un dialogue qui nous indique les degrés successifs par lesquels la seconde fait monter la première jusqu'à Dieu, en l'élevant de la passion à la pensée, et de la pensée à l'amour. Sur la zone des Alpes où croissent les sapins, où roulent les torrents, Frantz ne ressent qu'un désir, celui de lancer contre les hommes un dernier anathème. Il veut que le cri de son âpre justice égale les rugissements des flots irrités. Il maudit dans les hommes qu'il vient de fuir leur servitude même et l'orgueil sous lequel ils cachent la honte de leurs fers. Il les hait de tout l'amour qu'il a pour la na- ture, pour les vieux droits, pour la liberté. Il en appelle aux fléaux vengeurs pour qu'ils portent à son siècle odieux la menace qui sort de sa bouche et des entrailles d'un monde où l'homme ne tolère rien de sublime et rien de pur. Mais il a franchi plusieurs degrés ; il foule le lapis où s'é- panouissent les fleurs du désert, et près d'elles il respire un calme inattendu. L'orage qui grondait dans son cœur se dissipe, lorsque son pied touche la bruyère et la mousse. Il s'enivre d'oubli, de repos, de silence. C'est le sommeil des passions. Il monte encore, cherchant des voluptés plus parfaites que cet oubli dans ce sommeil. L'eau des lacs, cette eau d'azur et de glace que n'a jamais souillée nulle poussière humaine lui prête sa force et sa pureté. Déjà il sent en lui Ja passion céder a la pensée. A mesure qu'il monte, son âme s'élève. D'orageuse qu'elle était elle est devenue sereine. Mais cette sérénité froide, produit de l'orgueilleuse raison, n'est pas encore la paix. Frantz monte toujours plus haut; il atteint le glacier où le jour rayonne égal sur la vie et les choses, d'où il pro- mène au hasard sur la foule un regard indifférent. Indiffé-