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                     CIVITA-VECCBU EN 1868                       89
posent quelque peu, des officiers d'artillerie qui s'en vont le re-
 gard perdu et semblent calculer éternellement une trajectoire
 imaginaire, des officiers de génie absorbés dans un cubage, de
 remblais et de déblais, et rari nantes, de jeunes officiers d'Etat-
 major, l'air conquérant et le binocle à l'œil. Gardez bien vos
 brebis, bergère ! gardez bien vos brebis, berger.
    Puis, ici comme à Rome, des groupes de contadini : barbes
noires et touffues, regards étincelants, gestes tragiques, superbes
têtes de bandits. Ce n'est pas la beauté grecque ; mais c'est à
coup sûr l'opposé de la laideur bête de nos paysans. Pas une
 physionomie niaise ; ni Biaise, ni Jeannot, mais des Fra Diavolo
 à volonté. Leur costume?... Une large veste galonnée, une cu-
lotte de gros drap bleu, le chapeau pointu souvent orné d'une
plume arrachée à l'aile d'un volatile inconnu, un manteau dou-
blé de vert, un tablier en peau de bique, fendu et relié autour des
cuisses, des guêtres qui doivent dater des siècles passés et se
transmettre de génération en génération, parfois des bottes dont
le galbe accidenté rappelle les côtes de la péninsule italique.
 Ajoutez à cela un bâton ferré haut comme une lance, et vous di-
rez comme moi : très-beaux au coin d'un tab'eau              mais au
coin d'un bois ? . . . hum ! . . .
    Guarda! guarda! Une charrette arrive grand train, traînée par
trois mulets de front. Le solipède du milieu, haut comme un
chameau, trotte hardi. Les acolytes nains galoppent menu. Les
harnais enjolivés de clous en laiton, de broderies en ficelle, de
 pompons fanés et de panaches ébarbés, tiennent par miracle, et
par miracle aussi se tient le conducteur, debout à l'avant du char
cahoté et brûlant le pavé raboteux. Les brancards, au lieu de
battre les flancs du limonier, ballottent sur une haute sellette
bien au-dessus du garot. Le véhicule progresse sous un angle de
35 degrés. Que porte-t-on là-dedans?... je ne sais ; je vois tou-
jours ces attelages, lancés à toute vitesse, aller et venir à vide.
    Par contre, une montagne de foin encombre la voie et s'avance
à pas de tortue. Sous cette meule ambulante émergent deux
muffles bruns surmontés de cornes à n'en plus finir, les naseaux
 traversés par un anneau de fer relevé sur le chanfrein, anneau