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472                POÉSIE, AMOUR ET MALICE.

nés des libraires fixaient particulièrement mon attention dans
les rues, et que je faisais devant elles d'interminables stations.
Or il y avait à cette époque dans la rue Puits-tiaillot un maga-
sin dont la devanture étalait le plus complet assortiment d'al-
manachs qui pût se trouver à Lyon. Ceux des Grâces, des
Muses, du Caveau, des Dames, étaient tout particulièrement
enjolivés (on ne disait pas encore illustras) de gravures enchan-
teresses, depolytipés séduisants, de culs de lampes délicieux.
Thompson, Dévéria, etc. entouraient ces recueils annuels des
charmants produits de leur imagination et de la grâce de leurs
burins. L'un de ces petits volumes, satiné, relié avec le plus
grand luxe, doré sur tranches, avait obtenu ma préférence, je
l'avais donc acheté et j'y lisais, avec une fiévreuse admiration,
les œuvres des poètes privilégiés qui se prélassaient orgueilleu-
sement dans son sein. M'y voir admis était l'apogée de mon
ambition, l'idée de mes rêves de gloire ; je ne pensais pas qu'un
pauvre auteur pût jamais entrer dans un séjour enrichi de si
resplendissantes vignettes, que de méchants vers fussent im-
primés sur un si magnifique papier, et que ma renommée fût
le moins du monde contestée si j'avais l'immense bonheur d'y
 voir figurer un jour mes poésies. Le rédacteur de cet Almanach
 des Dames était M. Lefuel, rue Saint-Jacques n° 54, à Paris,
 adresse qui, dussé-je vivre cent ans, ne sortira jamais de ma
 mémoire; elle y restera gravée en lettres majuscules, et j'ou-
 blierai plutôt mon nom que celui de ce libraire qui devait
 m'ouvrir le chemin de l'immortalité. Je choisis donc dans
 mes formidahles portefeuilles les trois pièces que j'estimai les
 moins indignes de pénétrer dans Y Almanach des Dames et les
 envoyai à son rédacteur, accompagnées d'une de ces lettres
 où l'amour-propre d'un auteur s'enduit de miel, s'habille de
 velours et se met modestement à plat ventre pour se glisser
 où il brûle d'arriver. Ce petit volume ne paraissait qu'au mois
 de décembre, et nous étions alors en juin, mais désirant être
 le premier, sinon en titre pour y pénétrer, du moins en date
 pour m'y présenter, j'offris mon tribut à M. Lefuel, sept mois
 avant l'apparition de son livre. On le voit, je lui donnais tout